Cela fait plus de 20 ans que le rap est implanté en France. 20 ans que l’intelligentsia médiatique supporte une musique qu’elle ne considère pas comme telle, une culture qu’elle ne comprend pas et qui, d’ailleurs, ne l’intéresse pas. Décryptage d’un foutage de gueule bien français : entre mépris, méconnaissance et préjugés.
C’était le samedi 23 février dernier. Dans un élan d’éclectisme, la production du talk show On n’est pas couché invitait un groupe de rap : 1995. Oui, oui, vous avez bien lu, de rap. Il est en effet assez rare que des rappeurs – ces analphabètes provenant de la sous-culture hip-hop – viennent partager et surtout défendre leur musique sur un plateau télé, qui plus est, un samedi soir. La coutume voulait que des artistes confirmés, engagés et surtout talentueux tels que Cali, Calogero, Raphaël ou encore Bénabar viennent mettre en avant notre sublime chanson française.
Passés les quelques (bonnes, vous connaissez Ruquier…) vannes et préjugés d’usage lorsque l’on invite des rappeurs (« Wesh Lafouine » ; « Ça fait du bien de voir des rappeurs de bonne famille »), les spécialistes et critiques – Aymeric Caron et Natacha Polony – ont pu débuter leur show. Les deux marionnettes n’ont cessé de plonger, tête la première, dans l’océan de préjugés et d’inculture qui recouvre l’ensemble des médias dominants. Comme bon nombre de chroniqueurs avant eux, ils ont pu justifier leur mépris du rap par cette foutue rengaine du « Je suis vieux, ça ne me parle pas. Puis y a pas d’instrument joué, puis de toute façon le rap, c’est pour les voyous, hein », excuse toute trouvée pour ne pas s’emmerder à voir plus loin que le bout de son nez.
« Pourquoi des journalistes, payés pour analyser, critiquer et donner un avis supposé construit sur une œuvre, devraient s’infliger l’histoire d’une culture quand ils peuvent se contenter de jouer la carte cliché ? »
C’est vrai, après tout : pourquoi effectuer des recherches sur le hip-hop et sa musique ? Pourquoi des journalistes, payés pour analyser, critiquer et donner un avis supposé construit sur une œuvre, devraient s’infliger l’histoire d’une culture quand ils peuvent se contenter de jouer la carte cliché – alliée à cette répugnante condescendance propre aux incultes ? La critique, surtout dans l’art, est légitime quand elle est construite à partir d’arguments solides, fondés sur une certaine connaissance et non pas sur quelques poncifs sertis d’ignorance musicale (oui, très chère Natacha, le gangsta rap est un style musical). Il faut dire qu’avant eux, Éric Zemmour et Éric Naulleau avaient montré la voie. Celle des vieux cons plein d’arrogance, prêts à déverser leur soi-disant supériorité intellectuelle (et musicale) à la face de l’un des plus grands rappeurs français. C’était en 2009. Oxmo Puccino venait présenter L’Arme De Paix et fut traîné dans les marécages de la malhonnêteté et du mépris par les deux Éric. Un exemple parmi tant d’autres.
Des médias à la ramasse
Au vrai, le rap en France souffre de l’extrême incompétence des médias de masse mais aussi (et surtout) de ceux censés en faire la promotion. Inutile de perdre son temps à cracher sur cette immondice qu’est Skyrock. Un jour peut-être, on mesurera tout le mal que cette radio a fait à la culture rap. Le souci s’amplifie quand un de ses protagonistes est catapulté dans un autre grand média. C’est le cas de Fred Musa, animateur sur Skyrock et désormais sur France Télévisions. Outre sa prise de parole quotidienne à la radio, Musa se voit désormais autorisé à montrer son incompétence crasse à la télévision, histoire de conforter le Français moyen dans son idée préconçue que le rap, bah, c’est quand même pas mal de la merde. Tristesse.
Il faut tout de même noter l’effort des médias à inviter bien plus de rappeurs sur le petit écran qu’il y a quelques années… Évidemment, l’objectif est avant tout de montrer l’incroyable imbécillité des têtes de gondoles du rap made in France. Le dernier exemple en date fut Laouni Mouhid dit La Fouine. Non content de fournir un travail artistique médiocre (l’art de l’euphémisme), le rappeur de Trappes aime également jouer le jeu de l’intelligentsia télévisuelle ; à savoir se métamorphoser en chimpanzé sur les plateaux et confirmer ce que tout le monde pense : le rap est un gigantesque zoo et la France, cette vieille dame, se délecte à le regarder d’un air hautain et terriblement moqueur.
« À la télévision, l’objectif est avant tout de montrer l’incroyable imbécilité des têtes de gondoles du rap made in France. »
Moqueur comme Nagui dans son émission Taratata. En 1995, le sémillant mais surtout ignare présentateur/producteur avait la brillante idée de se foutre ouvertement de la gueule des rappeurs alors qu’il invitait l’un de ses plus éminents représentants hexagonaux : Fabe. Quelques années plus tard (et après avoir continué à cracher son venin sur cette musique), le plus lourdingue des animateurs du PAF faisait un Taratata spécial rap français. Si vous cherchiez à quoi ressemble un croisement entre opportunisme misérable et lâcheté ignoble, vous avez là un petit aperçu de ce que cela peut donner. L’autre grande mode de la télévision française – et plus particulièrement de France Télévisions – reste cette volonté de se donner bonne conscience en organisant des programmes dédiés au hip-hop. Attitude d’ouverture plutôt positive si elle n’était pas imprégnée de dédain à peine voilé. Pas de France 2 pour ces animaux urbains, pas même France 4, plutôt France Ô, cette chaîne que personne ne regarde. Triste destin pour le rap à la télé, entre tapin sur plateau de bobos parisiens et irrespect de la part de chroniqueurs aussi légitimes en matière de musique que de politique.
Quand les politicards s’en mêlent
Cette politique, justement, qui se fait un plaisir d’évoquer cette monstrueuse musique et ses acteurs ; ces rappeurs si peu fréquentables. Dans les années 1990, le Ministère A.M.E.R croisait la route d’un autre, celui de de l’Intérieur, à cause du fameux Sacrifice de poulet et de quelques sorties médiatiques pas au goût de ces messieurs. Une décennie plus tard, François Grosdidier s’ennuie un peu en Moselle. Le député UMP décide donc de clasher les textes de ces rappeurs qui font « outrage aux bonnes mœurs ». MC Grosdidier en remet même une couche quelques mois plus tard avec une proposition de loi visant à condamner ces rappeurs/racistes anti-blancs, l’un des véritables fléaux de notre Cinquième République, n’en doutons pas.
C’est avec Nicolas Sarkozy que l’antagonisme politiques/rap va prendre un nouveau tour. Nous sommes en 2003 et Nico, alors ministre de l’Intérieur, décide de porter plainte contre le rappeur Hamé du groupe La Rumeur. En cause, un texte incendiaire à l’encontre des violences policières en banlieue. Ni une, ni deux, le bon Sarko harnaché de sa profonde détestation du rap s’en va porter plainte. Résultat ? Huit années de joutes judiciaires pour Hamé ponctuées d’une relaxe en juin 2010. Prends ça, petit Nicolas. Mais n’allez pas croire qu’il s’agit là d’un combat circonscrit à une droite ayant tout simplement en horreur le rap. Récemment, le truculent Manuel Valls, actuel ministre de l’Intérieur, décidait d’épingler les emcees et leurs perpétuelles agressions verbales contre la France et ses femmes. Sacré Manu. Dénoncer le machisme et la place de la femme dans le rap quand nos députés s’amusaient, il y a encore quelques mois, à siffler la ministre du Logement Cécile Duflot qui avait l’outrecuidance d’arborer une robe en plein été. Du grand art. Bravo.
Avant cela, celui qui préfère toujours qu’il y ait quelques « blancos » à ses côtés avait tout de même salué « cette musique qui fait partie de notre culture urbaine », histoire de rappeler qu’il est quand même encarté PS. La gauche qu’on aime. Celle qui dîne avec l’escroquerie Abd al Malik ou l’indolent Grand Corps Malade. Eh oui : le slam, ça vaut mieux que le rap, il paraît.