Jamel Shabazz est un maître incontesté de la photographie de rue (« Street photography »), dès les années 70-80, au moment de la naissance du hip hop. Natif de Brooklyn, il devient alors témoin de ce mouvement, aux côtés d’inconnus qu’il rencontre. Visite guidée en images, de son œuvre et de ses influences, commentée par ce shooter né.
Fasciné dès son plus jeune âge par les couvertures des magazines, Jamel est marqué par certains livres dontLes noirs dans l’Amérique blanche (Black in White America), de Leonard Freed, photographe de l’agence Magnum, qui traite de la discrimination dans les années 60. A 20 ans, Jamel s’empare du boîtier photo de sa mère, et descend dans la rue pour faire ses premières images. Comme la plupart des photographes, il se fait la main en shootant ce qui l’entoure :« Je prenais en photo mes amis, la communauté où j’ai grandi, dans le quartier de Red Hook, à Brooklyn. Ce sont des clichés basiques, en couleur, pris avec un appareil pas cher. Essentiellement des portraits, des gens qui traînaient dans les rues. »
Extrait du livre de Leonard Freed, qui a inspiré Jamel Shabazz :
Né en 1960, fils d’un photographe de l’US Navy, Jamel est fréquemment surnommé Gordon Parks, du nom d’un photojournaliste et réalisateur du début du 20ème siècle, qui publiait notamment pour le magazine Life. En effet, la démarche de Shabazz est bien plus proche du documentaire, tel Parks, que de la simple photographie de l’instant : « J’ai choisi la photographie pour enregistrer l’Histoire », explique Shabazz. Ses livres A Time Before Crack et Back in the Days ont saisi l’essence des débuts du mouvement hip hop. Le photographe a été aussi fortement influencé par James Van Der Zee, Robert Capa, Chester Higgins ou encore Eli Reed.
S’il en est certains qui se sont intéressés aux rappeurs ou autres dj-stars de cette époque, Jamel, lui, s’est toujours intéressé aux gens ordinaires, aux gens de la rue. Il les fait prendre la pause et réussit à capter en un cliché leur naturel et leur spontanéité. Et c’est bien tout l’art de Jamel Shabazz :
« Je suis un communicant né, un tchatcheur. Pour moi, chaque personne rencontrée est spéciale, d’une certaine manière, et dans son propre style. C’est assez facile pour moi d’aborder des étrangers, d’engager la conversation avec eux, si le moment est bien choisi. La photographie arrive souvent plus tard, et elle sert aussi de prétexte à engager la conversation. La clef est d’être respectueux, sincère et de leur expliquer ses intentions. »
« Mon style de photographie est de capturer mes sujets dans un cadre naturel. Je touche à l’orgueil des gens, ça les rend encore plus digne, plus profond. Documenter de cette manière me permet de redonner de l’équilibre à une époque où tant de gens ne sont pas naturels, et sans la moindre forme de dignité. Les sujets que j’ai tendance à capturer accordent une importance considérable à leur culture, leurs racines et leur look, ils aiment se pavaner en quelque sorte. »
Shabazz participe à la reconnaissance de cette culture hip hop :
« Avant même que le mouvement ne s’appelle comme ça, j’étais dans une communauté connue pour ses soirées sympas, sa bonne ambiance, avec des groupes qui ont essuyé les plâtres comme Disco Enforcers. C’était il y a longtemps, en 1975. C’était l’un des meilleurs groupes : ils ont secoué le MIC et ils ont été les premiers à introduire, selon moi, ce qui allait devenir le hip hop. »
Au fur et mesure, Jamel publie dans la presse : GQ, Vogue, Vibe, le New York Times… Aujourd’hui, ses photographies sont devenues des icônes. En 2011, l’une d’elles illustre la pochette du 13ème album Undun du groupe The Roots. Et ses clichés font désormais partie des collections privées de personnalités tel que Lenny Kravitz ou encore Bill Clinton.
A Lille, en février dernier, la maison Folie Wazemmes lui consacre sa première rétrospective (il avait déjà fait un passage à Roubaix, pour réaliser quelques clichés, il y a une dizaine d’années) :
Son dernier livre, Represent, récemment publié, est le fruit de son nouveau projet, réalisé entre 2005 et 2012, avec un Canon 5D : « Ce livre représente mon indépendance. Je n’ai pas travaillé avec une maison d’édition traditionnelle. Ce livre est auto-produit et sort du cœur. Toutes les photographies de cet ouvrage représentent différentes communautés et des personnes du monde entier. Qu’elles viennent de France, d’Italie, du Japon, de Corée, du Canada, d’Ethiopie ou du Maroc, pour ne citer qu’eux. »