Robert Hébras, 97 ans, était l’un des six seuls survivants. Il a été abattu mais a réussi à s’échapper en rampant hors d’un tas de cadavres prêts à être brûlés pour se cacher dans une étable
La mort de Robert Hébras marque le tournant d’une page d’histoire, une page qu’il n’a cessé de raconter tout au long de sa longue vie : celle du village qui reste encore un monument vivant de la mort. Le village du Limousin dans lequel il est né.
Les choses ont changé pour toujours le jour où les Waffen SS sont entrés à Oradour-sur-Glane, le 10 juin 1944. La brutalité sommaire qu’ils ont infligée était exceptionnelle même selon leurs propres normes.
« J’étais devant ma porte avec un ami, nous parlions juste de choses. Il était 14h00 quand nous avons entendu le bruit des chenilles de l’arrière du village. Nous avons regardé et avons vu des véhicules à deux chenilles qui passaient nous, remplis de soldats.
Abattu puis brûlé
L’adolescent s’est retrouvé avec sa mère et ses deux sœurs en train de défiler sur la place du village avant d’être séparé d’elles. Le jeune Monsieur Hébras et des dizaines d’hommes d’Oradour sont parqués dans l’une des nombreuses granges du village.
« Les deux mitrailleuses étaient installées devant nous. Le chef a donné l’ordre de tirer. Nous étions une cinquantaine, les premiers étaient à dix mètres des armes. Nous sommes tombés les uns sur les autres.
« Ensuite, ils nous ont recouverts de tout ce qui pouvait brûler et nous mettre le feu. Quand les flammes ont commencé à m’atteindre, je n’avais pas le choix : soit je mourais brûlé vif, soit j’essayais de m’enfuir. Je suis sorti de sous les morts et les mourants, les soldats n’étaient plus là. J’ai pu me réfugier dans une écurie. »
« Je ne peux plus pleurer »
« J’ai vu des jeunes filles pleurer en écoutant mon histoire. Ça m’a fait mal au cœur. Je ne pleure plus. Je ne peux plus pleurer. J’ai trop pleuré », a-t-il déclaré vers la fin de sa vie.
Son décès a été annoncé dans un communiqué par sa famille, Philippe Lacroix, le maire d’Oradour-sur-Glane, et Benoît Sadry, président de l’Association nationale des familles des martyrs d’Oradour-sur-Glane.
Robert Hébras est né le 29 juin 1925 à Oradour-sur-Glane (Haute-Vienne) et est le dernier survivant du massacre qui fit 643 morts. Parmi eux, 260 enfants dont 68 de moins de 6 ans, brûlés dans la l’église avec leurs mères et les autres femmes du village.
M. Hébras avait 18 ans lorsque le régiment Der Führer de la Waffen-SS Panzerdivision Das Reich a frappé. Les hommes du village étaient parqués dans des granges et les femmes et les enfants dans l’église. Pour le jeune Robert, c’était la grange Laudy, sous la garde d’un détachement à la mitrailleuse.
L’histoire rapporte qu’après une heure d’attente, le peloton d’exécution s’est ouvert. Ils ont été entassés puis inspectés avant que les blessés ne soient abattus et que le bâtiment ne soit incendié. Seuls six blessés ont survécu, cachés sous le tas de cadavres, selon Le Monde.
Femmes et enfants brûlés vifs à l’église
Le jeune apprenti mécanicien, touché à la poitrine, à la jambe et au bras, a réussi à ramper hors de la grange. Il aurait préféré, expliqua-t-il plus tard, être abattu d’une balle que de mourir par le feu. Il réussit à échapper aux patrouilles SS et à rejoindre un hameau voisin. Il y apprend que sa mère et deux de ses sœurs, Georgette et Denise, ont été brûlées dans l’église. Son père et sa troisième sœur, qui n’étaient pas au village ce jour-là, avaient échappé au massacre.
« Le rescapé a ensuite rejoint le maquis, puis l’armée pour participer aux combats de la Libération. Après la guerre, il reprend le travail, ouvre son propre garage, fonde une famille, a un fils et trois petits-enfants. C’est alors qu’il a commencé le « travail de mémoire » qu’il effectuera pour le reste de sa vie », lit-on dans une nécrologie dans Le Monde.
Témoin de la cour
Rescapé, il témoigne au procès devant le tribunal militaire de Bordeaux, du 12 janvier au 12 février 1953, de 23 ex-SS (neuf Allemands et 14 Alsaciens). Deux condamnations à mort (dont celle d’un Alsacien) sont prononcées, un Allemand est acquitté et les autres sont condamnés à cinq à dix ans de travaux forcés. La semaine suivante, « dans l’intérêt de la cohésion nationale », le Parlement français vote l’amnistie des Alsaciens condamnés. Ce vote suscite deux groupes antagonistes, et une querelle durable entre le Limousin et l’Alsace.
M. Hébras en a lui-même été victime. En 2012, la réédition de son livre Oradour-sur-Glane. Le drame par heure (Chemins de la mémoire 1992), dans lequel il évoque ceux qui ont été « soi-disant forcés dans les unités SS », a conduit à une plainte des Associations alsaciennes d’évadés et de conscrits.
Haine victime
La cour d’appel de Colmar a condamné l’auteur à 1 € de dommages et intérêts pour diffamation et 10 000 € de frais de justice. Le 16 octobre 2013, la Cour de cassation a annulé la condamnation au motif que ces propos « ne dépassaient pas les limites de la liberté d’expression ». Cela ne lui a pas épargné la vindicte des historiens révisionnistes et les menaces de mort anonymes.
Parallèlement, M. Hébras s’était donné un objectif plus ambitieux que celui de témoin : œuvrer à la réconciliation franco-allemande depuis le village, dont les ruines, conservées dans leur état d’origine, sont le lieu le plus visité du Limousin (300 000 visiteurs par an, selon l’office de tourisme régional). Ils sont particulièrement appréciés des écoliers et étudiants allemands, pour lesquels il était un guide attentif.
En 1983, il assiste au procès et à la condamnation (réclusion à perpétuité, libéré pour raisons de santé en 1997) d’un des organisateurs du massacre, Heinz Barth, qui vivait sous une fausse identité dans l’ex-République démocratique allemande. Il revient ensuite plusieurs fois pour donner des conférences dans des universités allemandes.
Couvert d’honneurs
M. Hébras a été chevalier, puis officier de la Légion d’honneur (2001), titulaire du Prix autrichien de la mémoire de l’Holocauste (2008), titulaire de l’Ordre du mérite de la République fédérale d’Allemagne (2012) et en En 2013, il a reçu la visite du président de la République fédérale Joachim Gauck, accompagné du président français de l’époque, François Hollande. Et le 10 juin 2017, il recevait Emmanuel Macron à l’occasion du 73e anniversaire de la tuerie.
Au cours de sa longue vie, M. Hébras a publié plusieurs livres. En plus de Le Drame heure par heureIl y avait Avant que ma voix ne s’éteigne (Avant que ma voix ne se taise avec le journaliste Laurent Borderie, Elytel, 2014). Il a également participé à plusieurs films documentaires, dont Une vie avec Oradourde Patrick Séraudie (2011), et Der Fall Oradour, Enquête sur un crime de guerrepar Ute Casper (2014).
Robert Hébras, en bref
- 29 juin 1925 : Naissance à Oradour-sur-Glane (Haute-Vienne)
- 10 juin 1944 : échappé au massacre
- 1992 : Publie Oradour-sur-Glane. Le drame par heure (Chemins de la mémoire)
- 2014 : Publie Avant que ma voix ne s’éteigne (Élytel)
- 2023 : Décédé à Saint-Junien (Haute-Vienne)
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