Lance Armstrong a triché. Ce ne sont plus les autres qui l’affirment mais lui-même. La figure cycliste la plus emblématique de ces quinze dernières années s’est livrée à la vindicte médiatique et populaire. Au cours d’un entretien fleuve, il avoue tout… ou presque.
Le couperet est tombé il y a un peu moins de deux semaines. Lors d’une farce solennelle et grotesque dont seuls les networks américains ont le secret, Lance Armstrong passait enfin aux aveux face à Oprah Winfrey. Une confession devenue nécessaire depuis la présentation par l’Agence Américaine Antidopage (USADA) fin octobre d’un rapport de plus de 200 pages dévoilant la face noire de l’ex-gloire du cyclisme mondial. Armstrong n’a pas simplement flirté avec l’interdit, il s’y est jeté tout entier. EPO, transfusions sanguines, cortisone, hormones de croissance, la liste des produits dopants passés dans son sang au cours de sa carrière est bien longue.
Des sanglots étranglés dans la voix, il demande pardon à sa famille, ses amis, ses fans. Il regrette ses victoires entachées, les espoirs déçus de ces gens qui voulaient croire dur comme fer à ce mythe incroyable qu’il s’était forgé : la légende d’un homme revenu du cancer et capable de s’élever jusqu’au sommet de son sport. « Je vais passer le reste de ma vie à regagner la confiance des autres et à m’excuser. Certains ne me pardonneront jamais. », déclare Armstrong dans un élan plutôt crédible de sincérité. Il déplore également ses abus au moment de sa domination, les nombreux procès en diffamation intentés contre ses coéquipiers de l’époque, les journaux qui doutaient de ses succès. L’attitude tyrannique d’un champion qui pouvait tout se permettre.
« Armstrong n’a pas simplement flirté avec l’interdit, il s’y est jeté tout entier. EPO, transfusions sanguines, cortisone, hormones de croissance, la liste des produits dopants passés dans son sang au cours de sa carrière est bien longue. »
Mais le coureur n’est pas simplement venu expier ses fautes. Dans une mascarade communicante parfaitement huilée, Lance Armstrong se présente également comme une victime du système et de son propre mode de pensée. S’il s’est dopé, c’est parce qu’il n’avait pas le choix ! C’était le seul moyen de gagner des courses, non pas parce qu’il n’était pas assez performant mais parce que tous les autres étaient chargés eux-aussi ! « Je n’avais pas le sentiment de tricher. Je pensais que c’était une manière de se battre à armes égales. « Une posture sidérante réitérée il y a quelques jours dans un échange de mails avec le site Cycling News où Armstrong affirme sans ambages qu’aucune génération n’était « propre. Ni celle de Merckx, ni celle de Hinault, ni celle de LeMond, ni celle de Coppi, ni celle de Gimondi, ni celle d’Indurain, pas celle de Bartali, ni même la mienne. » Étrange manière de se dédouaner que d’incriminer toute l’histoire de son sport.
Plus intriguant encore, Armstrong établit un lien presque malsain entre sa guérison du cancer des testicules et ses faits de dopage. Un « processus » qui aurait assimilé sa victoire sur la maladie à la nécessité de ne plus jamais perdre à la pédale. Puisqu’il avait triomphé du cancer, gagner deviendrait une compensation, une norme et ce, quels que soient les moyens pour y parvenir. Un train de pensée qui fait froid dans le dos.
Grand déballage : à qui profite le crime ?
Lance Armstrong regrette ses années de mensonge mais a-t-il changé pour autant ? Que peut bien chercher un homme qui, aux yeux du grand public, a déjà tout perdu ? Son prestige est écorné à jamais, ses 7 Tours de France rayés des bilans officiels, sa médaille olympique retirée, ses primes de victoire à rembourser ainsi que l’argent gagné au cours de ses nombreux procès (en tout, une dizaine de millions de dollars). Il a même dû quitter la présidence de la fondation Livestrong, organisation caritative pour les malades du cancer qu’il avait créée en 1997.
En réalité, Armstrong, dont la fortune s’élèverait à 100 millions d’euros, a encore beaucoup à perdre, d’où la nécessité pour lui de garder le contrôle. L’ex-champion américain offre une main en sacrifice pour éviter qu’on ne lui coupe le bras. Car, s’il admet bien volontiers ce que tout le monde soupçonnait déjà depuis longtemps (son dopage durant sa carrière jusqu’en 2005), pour le reste, c’est une autre histoire.
« Je n’avais pas le sentiment de tricher. Je pensais que c’était une manière de se battre à armes égales. » Lance Armstrong
Lorsque les témoignages viennent à manquer, Armstrong nie farouchement. Non, il n’était pas dopé en 2009 lorsqu’il finit sur le podium du Tour après 4 ans d’arrêt. Alors quoi, plus besoin de se charger pour gagner ? Non, Lance fait simplement de savants calculs et veut éviter de nouvelles poursuites judiciaires. Car en 2005, dans un procès l’opposant à sa compagnie d’assurance SCA Promotions, l’américain avait juré sous serment ne pas s’être dopé, empochant au passage 7,5 millions de dollars. Si ces faits sont désormais prescrits, il en va tout autrement des plaintes déposées par ses anciens coéquipiers Floyd Landis et Tyler Hamilton en 2010 et 2011 lors d’une enquête fédérale. Des accusations réfutées à l’époque par Armstrong qui pourrait donc être passible d’une condamnation pour parjure.
Il faut se rappeler que pour des faits similaires, l’athlète Marion Jones avait effectué un séjour de 6 mois en prison, entre mars et septembre 2008. Un chemin qu’Armstrong n’a probablement pas envie de suivre. Par chance, l’instruction a été fermée, à la surprise générale, en février 2012. Mais l’USADA fait le forcing pour que le gouvernement américain se saisisse à nouveau de l’affaire.
En montrant soit disant patte blanche, le cycliste essaye donc de prouver sa bonne foi afin d’éviter un nouveau procès qui pourrait le conduire, cette fois, derrière les barreaux. Mais pas seulement. La Poste Américaine (US Postal), principal sponsor de l’équipe d’Armstrong durant son hégémonie, demande elle aussi des comptes. Si l’ex-champion est reconnu coupable d’avoir trompé le gouvernement en dissimulant un vaste programme de dopage au sein de sa formation, l’addition pourrait être salée : 90 millions de dollars, soit trois fois la somme investie à l’époque par l’US Postal. Soit la quasi-totalité de la fortune d’Armstrong.
On pourra toujours railler le cynisme de sponsors réclamant de fortes sommes d’argent pour faute grave alors que le coureur leur a rapporté plusieurs centaines de millions de dollars du temps de sa gloire…
Le refus de la catharsis aux victimes collatérales
On comprend donc bien ce qui peut motiver le silence de Lance Armstrong sur certains points. Mais le plus terrifiant dans cet entretien, c’est lorsque le naturel revient au galop. Le cycliste ne souhaite évoquer que son propre cas, ne veut pas « parler des autres ». Rien sur ses relations pourtant douteuses avec l’Union Cycliste Internationale (UCI) et ses présidents successifs Hein Verbruggen et Patrick McQuaid, soupçonnés de l’avoir couvert durant l’ensemble de sa carrière. Rien sur les donations étranges (160,000 dollars) effectuées par Armstrong à l’organisme pour la formation des jeunes et l’achat d’une machine de tests sanguins. Rien encore sur le Docteur Michele Ferrari, banni à vie de toutes compétitions sportives pour son implication dans de nombreuses affaires de dopage et médecin de Lance Armstrong de 1995 à 2004.
Comment y voir autre chose qu’un gigantesque bras d’honneur à l’USADA et à son président Tyler Tygart qui a monté le rapport compromettant le champion américain ? Tygart rêvait de se payer l’UCI depuis des années et comptait sur les aveux d’Armstrong pour y parvenir ? Il n’aura rien, pas même une miette. Le cycliste garde jalousement les informations les plus intéressantes pour rester en position de force et se défendre à nouveau le cas échéant.
« D’une question à l’autre, la colombe blessée laisse place à un prédateur froid et distant. Le même qui enfilait les victoires comme des perles. Lance Armstrong manipule l’audience, ses détracteurs et ses adversaires. »
Même sanction pour des victimes collatérales de la toute puissance du cycliste. Emma O’Reilly, ancienne masseuse d’Armstrong, avait témoigné contre lui. Elle avait été broyée par l’armée d’avocats du texan qui l’avait faite passer pour une nymphomane vengeresse, déçue d’avoir été éconduite. L’ancien coureur balaye cette anecdote d’un revers de main : « on a fait un procès à tellement de personnes, je ne m’en souviens même pas ».
Idem pour son ancien coéquipier Frankie Andreu et sa compagne Betsy. En 2006, le couple avait déclaré aux enquêteurs avoir été témoin d’une scène explicite dans un hôpital à Indianapolis en 1996. Armstrong, alors malade, aurait avoué à ses docteurs avoir utilisé des substances dopantes comme l’EPO au début de sa carrière. Des accusations réfutées par Armstrong qui s’était ensuite appliqué à détruire méticuleusement la vie de ces deux personnes : harcèlement, insultes, menaces physiques, pressions pour que la reconversion de Frankie Andreu en tant que consultant cycliste échoue, allégations sur la santé mentale de son épouse. Les Andreu attendaient des excuses publiques pour tourner la page, ils n’auront rien, Armstrong bottant à nouveau en touche.
D’une question à l’autre, la colombe blessée laisse place à un prédateur froid et distant. Le même qui enfilait les victoires comme des perles. Lance Armstrong manipule l’audience, ses détracteurs et ses adversaires. Même acculé, il veut garder l’avantage. Et cette fois encore, il a bien l’intention de gagner.