Entre deux sourires mutins sur les plateaux télévisés, Najat Vallaud-Belkacem se laisse parfois aller à quelques savoureuses confidences. Dernière en date : indiquer dans les manuels l’orientation sexuelle des auteurs. Ignorance ou bourrage de crâne ?
Il fut un temps où nos femmes et nos hommes d’État cultivaient un lien particulier avec la littérature. Marie de Médicis savourait les odes de Malherbe, Marguerite de Navarre a tant adulé Boccace qu’elle l’a imité avec son Heptaméron ; puis Chateaubriand, Lamartine, Hugo ont exercé des mandats politiques tout en incarnant le génie littéraire de leur époque.
Sans être de grands écrivains, de Richelieu à François Mitterrand en passant par Georges Pompidou nos dirigeants ont toujours entretenu un rapport passionné avec les belles-lettres jusqu’à être eux-mêmes de grandes plumes, à l’instar du général de Gaulle. Il ne s’agissait pas simplement de cuistrerie et de hauteur de vue, il y avait l’intacte volonté de faire perdurer une tradition, tant littéraire qu’historique, visant à promouvoir la culture nationale et une certaine idée du raffinement.
Cette proximité entre l’État centralisé et centralisateur et les écrivains a eu de bons côtés – l’Académie française, l’unification linguistique du pays, la transmission de références communes, l’enrichissement de la langue – comme des plus négatifs – les « poètes de cour » et leur pompe surannée, le manque d’audace et l’extrême rigidité de certains dogmes, l’institutionnalisation à outrance des plumitifs – mais tout cela a contribué à conférer une grandeur spirituelle à nos monarques puis à nos présidents (de gauche comme de droite). Mais plus les quinquennats se succèdent, plus la fracture entre la politique et les lettres s’accroît. De l’Académie à Acadomia, il n’y a parfois qu’un pas à franchir.
Tu prends novlangue en LV2 ?
Jacques Chirac n’était pas un grand lecteur. Nicolas Sarkozy non plus, lui qui découvrit Céline et Maupassant sur le tard. François Hollande a le mérite d’écrire une bonne partie de ses discours, mais sa « fibre littéraire » supposée est encore beaucoup trop discrète. Une chose est certaine, ce n’est pas Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes et porte-parole du gouvernement qui pourra prétendre à un fauteuil à l’Académie française. Elle confie en effet au magazine Têtu : « Aujourd’hui, ces manuels s’obstinent à passer sous silence l’orientation LGBT de certains personnages historiques ou auteurs, même quand elle explique une grande partie de leur œuvre comme Rimbaud ». Implacable. Une force d’analyse qui invite au respect. Rimbaud sous la bannière LGBT. Marcel Proust au concert de Mylène Farmer. Et André Gide sur un char à la Gay-pride ?
Si Najat Vallaud-Belkacem estime que l’homosexualité de Rimbaud explique son œuvre, nous attendons sa thèse avec impatience. Le vers libre rimbaldien, sa théorie du voyant, son audace créatrice, ses métaphores, tout cela a donc son orientation sexuelle comme origine ? Le Bateau ivre comme hymne à l’amour entre deux hommes ?
Tout cela n’est pas sérieux et n’est que la preuve de l’ignorance littéraire d’un nombre croissant de nos élites politiques. Le fait d’accoler le sigle « LGBT » à l’auteur d’Une saison en enfer est un anachronisme flagrant et participe d’une volonté de laver les cerveaux. Du révisionnisme poétique. Un bel exemple de novlangue dont Orwell se serait délecté afin de conformer le passé à sa vision libérale-libertaire. Imposer ce diktat dans les manuels scolaires revient d’une part à inculquer cette idéologie aux futures générations, et d’autre part à leur apprendre une bien mauvaise manière d’appréhender la littérature.
Le style n’a pas de sexe
Puisqu’avec Najat, il faut reprendre les bases, citons la préface du Portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde : « L’appellation de livre moral ou immoral ne répond à rien. Un livre est bien écrit ou mal écrit. Et c’est tout (…) L’artiste peut tout exprimer ». Repose ton stylo Cartier, et écoute cinq minutes, madame la ministre. Que l’auteur soit hétéro, homo, bi, ce que tu veux, qu’il ait eu des accointances avec le régime nazi ou avec tonton Joseph, seul le style compte et survit. Les vers de Rimbaud n’ont pas de sexe, et qu’il soit à voile et à vapeur n’explique en rien les Illuminations. La moraline administrée par nos élites ne saura nous détourner de la véritable littérature et de son analyse. Les crânes des élèves n’ont pas non plus lieu d’être formatés à la novlangue rive gauche.
Quand le politique a une sensibilité littéraire, il sert tout à la fois le pays et son histoire et acquiert une véritable dimension. A l’inverse, quand il ignore tout des belles-lettres, il symbolise la déculturation qui touche à la fois la gauche et la droite et devient une publicité vivante pour Complétude.