Loin de n’être qu’une foule embourgeoisée arborant slogans traditionalistes et carrés Hermès, le christianisme est en tout premier lieu un mouvement historique lancé par un “agitateur” qui prêcha parmi les pauvres et les rejetés et tança l’élite obtuse de l’époque.
Sans chercher un modèle d’incarnation messianique comme Martin Luther King, aujourd’hui, qui pourrait se targuer d’être le porteur de ce message originel fait de fraternité et de méfiance face au pouvoir, notamment de l’argent ?
Visite de l’autre côté de l’Atlantique, voguons au sud pour rejoindre les eaux vives et troubles du discours d’Hugo Chávez entre christianisme et marxisme.
La théologie de la libération s’inspire des bases bibliques comme vision d’affranchissement des peuples et notamment de Moïse conduisant les Hébreux en dehors de leur terre d’esclavage. Le Christ sert aussi de modèle puisqu’il continue cette vision politique d’être humain insoumis à un autre et responsable de ceux-ci. Ainsi, à Satan qui lui promit richesse et gloire contre sa fidélité, Jésus lui dit : « Tu adoreras le Seigneur, ton Dieu, et tu ne serviras que lui seul. » Luc IV, 8.
Ceci représente certainement le principal rapport entre le mouvement théologique d’Amérique du Sud et le message du Christ, l’émancipation de l’individu, sa responsabilisation, son insoumission à une puissance matérielle, qu’elle soit financière ou militaire. Une fois politisée et élargie, cette même idée peut prendre place dans le corps social, celui d’un peuple libre et autonome.
Christianisme, bolivarisme et marxisme
S’il y a quelque chose de commun entre la théologie de la libération et le marxisme, c’est le diagnostic. Les deux observent que la capitalisation des dominants devient un joug aliénant des peuples par la pauvreté et la misère. Mais l’histoire de Marx et de Bolivar est très différente. En Europe, c’est au sein même des pays que les riches, les patrons, exploitaient les pauvres, les ouvriers. En Amérique latine, ce sont des pays extérieurs : l’Espagne, le Portugal et par la suite les États-Unis qui sont venus dominer par leur arrogance militaire et leurs richesses des peuples sans défense, rapidement appauvris. Ainsi, la réponse ne fut pas la même. Face à la révolte populaire internationale de Marx, le fameux sentiment de classe, les théologiens de la libération ont préféré tourner leur effort vers un sentiment d’autonomie des populations nationales vis-à-vis de puissances étrangères. A l’instar des colonies, la volonté qui anime les Sud-Américains n’est donc pas celle d’une classe ouvrière voulant renverser et prendre le pouvoir, mais surtout un esprit d’indépendance et d’auto-détermination. Cependant le marxisme n’est pas qu’une idéologie belliqueuse, c’est aussi le socialisme, la solidarité entre individus. Le Christ veut, lui, une humanité fraternelle. Mais il va encore plus loin, il aime la pauvreté et l’humilité qui s’en dégagent. Un des passages préférés de la Bible de Jean-Claude Michéa illustre cette position du Christ : « Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu. » Marc X,25
Pour le Christ, il ne s’agit pas de lutter contre la pauvreté mais contre la richesse en mettant en garde les hommes du mal qu’ils se font et qu’ils font aux autres par l’avarice.
Pour le Christ, il ne s’agit pas de lutter contre la pauvreté mais contre la richesse en mettant en garde les hommes du mal qu’ils se font et qu’ils font aux autres par l’avarice. Il est donc méfiant concernant la soif de matériel et cela même venant des pauvres. Ainsi, il nous dit : « Vous non plus, ne vous mettez pas en quête de ce que vous mangerez ou ce que vous boirez, et ne soyez pas anxieux. C’est de tout cela, en effet, que les païens du monde sont en quête ; mais votre Père sait que vous avez besoin de cela. » Luc XII, 29, 30
La théologie de la libération est très marquée par cette thématique du modèle de l’humble. Mgr Romero, assassiné pour son engagement et qualifié de prophète de l’espérance par le Vatican, tenait ce discours illustrant au mieux la pensée des théologiens de la libération : « Le monde des pauvres nous apprend que la libération arrivera non seulement quand les pauvres seront les destinataires privilégiés des attentions des gouvernements et de l’Église, mais bien quand ils seront les acteurs et les protagonistes de leur propre lutte et de leur libération en démasquant ainsi la dernière racine des faux paternalismes, même ceux de l’Église. »
Chávez, une troisième voie ?
Il est un digne représentant de l’hésitation propre aux Chrétiens qui s’attellent à la dure tâche de combattre la misère : faut-il chasser les marchands du Temple ou mourir sur la Croix ?
L’Amérique du Sud est un terreau fertile d’idées et un acteur de première catégorie dans la lutte des dominés. Chávez l’a bien compris et il est un digne représentant de l’hésitation propre aux Chrétiens qui s’attellent à la dure tâche de combattre la misère : faut-il chasser les marchands du Temple ou mourir sur la Croix ? Une question ambiguë traçant la ligne de conduite des Chrétiens, entre activisme et pacifisme, entre bourreaux des dominants et martyr pour la cause.
Tout à la fois, Chávez pratique ainsi coup d’état, propagande électorale, népotisme, provocation, mais aussi solidarité et générosité. Il marche sur des œufs en essayant d’avancer en libérateur. Noam Chomsky qualifie ainsi son action : « Parler de paix et critiquer ceux qui s’y opposent est relativement facile, il est plus difficile de créer un monde nouveau, un monde différent. » L’intellectuel américain met effectivement le doigt sur un des domaines importants de la théologie de la libération, la praxis. Car comme nous le rappellent ces théologiens, il ne s’agit pas de condamner des faits et de rester sur un constat ; l’abbé Pierre en France nous disait : « La misère ne se gère pas, elle se combat. »
On ne pourra pas dire de Chávez que c’était un tiède : il est engagé et remuant. Il n’hésite pas à se salir les mains dans les aléas du concret. Le personnage est ainsi à la fois réélu mais dirige une société divisée et violente. Il promeut des actions sociales bénéfiques aux populations pauvres mais se retrouve finalement dans la peau d’un petit père des peuples.Chávez est un politique contestable, quelques fois cynique avec ses alliés objectifs. Il est aussi un symbole de lutte pour plus de justice et pour un droit que les mondialistes semblent oublier : celui des peuples à disposer d’eux même. Il n’est donc certainement pas le Messie, mais plutôt un personnage proche d’Antonio de Montesinos reprenant Saint-Jean dans son sermon: « Je suis la voix qui crie à travers le désert. »