Daniel Roher, réalisateur canadien, a été récompensé de l’Oscar 2023 du meilleur documentaire pour son oeuvre intitulée « Navalny« . Ce film plonge le spectateur au coeur de l’affaire qui a secoué l’opinion publique mondiale en 2020 : l’empoisonnement de l’opposant russe Alexeï Navalny, ainsi que son combat contre le président Vladimir Poutine. Cependant, bien que cette distinction soit prestigieuse et méritée, Alexeï Navalny est quant à lui bien loin d’Hollywood. En effet, il croupit en prison depuis plus de deux années maintenant, marquant une étape supplémentaire dans son parcours de combattant pour la liberté d’expression et la démocratie en Russie.
Alexei Navalny : la détention inhumaine d’un opposant russe
Alexei Navalny, l’opposant russe le plus célèbre, est détenu depuis début janvier 2021 en Russie. Depuis sa détention, il a été placé une dizaine de fois à l’isolement pour des motifs souvent futiles, par exemple parce qu’un bouton de sa chemise était ouvert ou parce qu’il avait fait sa toilette « à 5h24 », soit 36 minutes avant l’heure réglementaire. C’était le 31 décembre. La situation est telle que ses conditions de détention ont inspiré cette remarque caustique de sa part : « Des gens payent pour passer un Nouvel An original. Pour moi, c’était gratuit« . De plus, il n’a eu aucune visite depuis huit mois.
Cette détention brutale a conduit à l’installation d’une réplique de sa cellule à Paris, près du Louvre, après avoir été exposée un mois à Berlin. Il s’agit d’un caisson de 2,50 mètres sur 3 mètres avec un lavabo rouillé, des toilettes à la turque et une couchette qui se transforme en table. Des extraits du règlement sont diffusés à intervalles réguliers par haut-parleur.
Sur le plan médical, Alexei Navalny, 46 ans, est très affaibli. En effet, il a été malade d’une mauvaise grippe en janvier et n’a pas été correctement soigné. Ses soutiens dénoncent une volonté de le tuer à petit feu, sans pour autant enfreindre la loi. Pas moins de 500 médecins russes ont signé une pétition demandant à Vladimir Poutine de mettre un terme à ces mauvais traitements.
Sur le plan judiciaire, Alexei Navalny purge actuellement une peine de neuf ans pour fraude et escroquerie, verdict largement vu en Russie comme une vengeance personnelle du maître du Kremlin. Mais en octobre, il a été annoncé qu’il était visé par de nouvelles charges, notamment du financement d’activités terroristes, infraction passible de 30 ans de prison. En général, il profite de ses audiences pour lancer des messages politiques et dénoncer la corruption des élites.
L’opposition en Russie fait l’objet d’une répression accrue depuis l’invasion de l’Ukraine. Des lois récentes prévoient de longues peines d’emprisonnement pour diverses formes de « délits », comme le fait de qualifier le conflit armé en Ukraine de « guerre », de critiquer l’invasion ou la conduite des forces armées russes, et de rendre compte des crimes de guerre.
Sa fondation anti-corruption a été classée « organisation extrémiste » et tous ses membres sont aujourd’hui soit en prison, soit en exil, ou alors ils se cachent. Aux yeux d’une société russe largement dépolitisée, elle n’existe plus, tout simplement.
Aucune voix ne se résonne assez fort aujourd’hui pour représenter une alternative, ni en Russie ni à l’extérieur du pays. Vladimir Kara-Mourza, un autre opposant de longue date, est d’ailleurs jugé cette semaine pour haute trahison. Il avait simplement critiqué les autorités dans des interventions publiques à l’étranger. Pour cela, il risque 25 ans de prison.
L’Oscar remporté par Alexei Navalny pour son documentaire n’est pas évoqué dans la presse moscovite. Pas un mot non plus sur les paroles de sa femme, Ioulia, venue récupérer le prix à sa place, de la présence de ses enfants et du discours du réalisateur Daniel Roher. Seul le grand quotidien économique Kommersant se hasarde à publier une photo, sans faire de commentaire sur le sujet. La liste des condamnations en justice d’Alexeï Navalny y figure en bonne place à côté d’une courte présentation du film.