Chaque semaine, Clément Viktorovitch analyse les discussions et les problématiques politiques. Le dimanche 26 mars, il s’intéresse à la validité démocratique d’une modification politique face à l’indignation populaire dans les rues.
La question cruciale qui se pose aujourd’hui, au cœur de la crise politique et sociale actuelle, concerne la légitimité du président de la République à imposer la réforme des retraites. Emmanuel Macron a lui-même répondu à cette question lors d’une réunion avec les députés Renaissance. Il a déclaré que « la foule, quelle qu’elle soit, n’a pas de légitimité face au peuple qui s’exprime souverain à travers ses élus ». Selon lui, cette réforme serait donc pleinement légitime.
**Cette distinction entre la foule et le peuple est-elle justifiée ?**
Emmanuel Macron fait référence à un passage célèbre de Victor Hugo, dans L’année Terrible, où la force confuse de la foule est effectivement opposée à la grandeur du peuple. Pour Hugo, un mouvement de contestation populaire, inscrit dans la durée et adossé à un débat public, tel que nous le voyons aujourd’hui sur les retraites, serait en réalité représentatif du peuple. Cela n’a rien à voir avec la phrase du chef de l’État : la foule, quelle qu’elle soit, n’a pas de légitimité face au peuple qui s’exprime à travers ses élus.
En réalité, les députés n’ont jamais voté la réforme, et pour Emmanuel Macron, les mouvements sociaux seraient par nature disqualifiés. La seule voie légitime par laquelle le peuple pourrait s’exprimer serait l’élection.
**L’élection est-elle le principe fondamental de notre démocratie ?**
Cela est en fait plus complexe. L’historien Pierre Rosanvallon, professeur au Collège de France, a publié en 2008 un ouvrage intitulé : La légitimité démocratique. Il souligne que « l’élection ne garantit pas qu’un gouvernement soit au service de l’intérêt général, ni qu’il y reste. Le verdict des urnes ne peut être le seul étalon de la légitimité ».
Rosanvallon rappelle que l’élection est en réalité une double fiction. D’une part, on fait comme si le consentement donné lors de l’élection valait pour tout le reste du mandat. D’autre part, on fait comme si le consentement d’une partie du peuple valait pour tous les citoyens. Mais ces deux éléments ne sont que des fictions !
Ces fictions sont peut-être nécessaires à la démocratie représentative, mais elles deviennent insupportables si elles ne sont pas complétées par d’autres sources de légitimité démocratique, telles que l’opinion publique, la société civile, les syndicats ou la rue. Sans ces autres sources de légitimité, la démocratie devient moins démocratique, et le peuple n’est libre qu’un jour, puis esclave pendant les cinq années restantes.
En ce qui concerne la réforme des retraites, l’opposition des syndicats est définitive, l’opinion publique rejette majoritairement cette réforme, la contestation de la rue est massive et les parlementaires n’ont jamais véritablement consenti à cette réforme.
**Qu’en est-il du rejet de la motion de censure ?**
Les députés ont effectivement, à une courte majorité, refusé de faire tomber le gouvernement. Cependant, ils étaient prêts à rejeter la réforme des retraites. La Première ministre a elle-même admis qu’elle n’avait pas de majorité sur ce sujet. Cela signifie que, même selon Emmanuel Macron, cette réforme ne serait pas légitime, puisqu’elle n’a pas reçu l’approbation des élus du peuple.
Ainsi, quelle que soit la manière dont on aborde la question, nous arrivons à la même conclusion : le chef de l’État semble s’être enfermé dans une vision étroite, voire défaillante, de la légitimité démocratique. Et, comme le soulignait l’historien Patrick Boucheron, en reprenant les mots de Machiavel, ce qui se joue actuellement n’est pas la foule qui cherche à s’imposer au peuple, mais le prince, qui se croit plus sage et mieux éclairé que la multitude.