Avant, ils s’appelaient Young Michelin, mais le bibendum n’a pas aimé. Alors Romain Guerret et sa bande ont changé de nom. Avec Aline, ils font la même musique et sont lauréat de Fair 2013. Jeu de questions-réponses avec Romain.
L’image qui apparaît sur votre MySpace est celle d’un homme qui graphe le nom Aline. Cherchez-vous à faire passer un message à Christophe ?
Ce message n’était pas destiné à Christophe. C’est pris sur le vif. Pendant un brainstorming, je montrais aux autres membres du groupe comment devait s’écrire ALINE. Et comme on n’avait pas de quoi se payer un paperboard, je l’ai écrit sur la moquette murale de notre studio de répétition, en grosses lettres rouges.
Avant de vous appeler Aline, vous vous appeliez Young Michelin. Ce changement est dû à un problème de droit avec la firme bien connue. Qu’est-ce qui avait dicté le choix de ce premier nom et finalement pourquoi ce nouveau patronyme ?
Young Michelin fut l’heureux résultat de la combinaison de deux mots générés de façon aléatoire par le système « captcha » (completely automated public Turing test to tell computers and humans apart). C’est un procédé informatique permettant de différencier de manière automatisée un utilisateur humain d’un ordinateur. Là c’était un captcha Facebook, les meilleurs à mon goût, qui vous sortent deux mots ou un mot plus une suite de chiffre. Vous devez les recopier sans vous tromper pour accéder à une requête. Young puis Michelin donc, j’ai trouvé ça joli, ça collait bien avec ce que j’avais envie de faire, avec ce que j’avais dans la tête. Un mélange d’anglais et de français à la sonorité douce et poétique. Le fabricant de pneus n’a pas du tout apprécié. Un an et demi plus tard nous avons été contraints de trouver autre chose sous menace de procès. Et comme nous n’avons pas les reins assez solides pour nous bagarrer avec un bibendum gonflé aux stéroïdes, sur entraîné et teigneux nous avons choisi Aline, le nom de la ville natale des membres de Young Michelin.
L’impression qui ressort de cette histoire est qu’en dernier recours la puissance économique est toujours au dessus. Comment avez-vous vécu ces tribulations ? Ont-elles eu un impact sur votre travail?
La puissance économique, l’État, les classes les plus favorisées gagnent toujours à la fin, c’est comme ça. On est impuissants. On aimait bien notre nom, les gens aussi, ils commençaient à s’y habituer et quand il a fallut changer ça a été long. Notre musique, nos visuels, notre son, et notre nom, tout ça était étroitement lié, ça faisait sens. Du coup on a opté pour Aline ce qui est une bonne chose au finale, le public l’a très bien reçu et nous en sommes très contents. Maintenant il faut se frapper les blagues sur la chanson de Christophe (ALINE on crie pour qu’ils reviennent, tout ça…) mais ça commence à se tasser un peu, les journalistes n’osent plus trop le faire. Ce fut un moindre mal. On en a profité pour changer nos tenues de scène mais notre musique est toujours la même, plus produite maintenant car nous avons réalisé notre album en studio.
Sentez-vous que cette prédominance est une tendance actuelle forte?
Le capitalisme est un fascisme comme un autre. C’est très difficile de s’en défaire et très difficile à l’heure actuelle de trouver des alternatives valables. On est à un tournant. Les sociétés cherchent. Je pense quand même que ça a toujours été comme ça, sauf que là, le phénomène s’amplifie. Une sorte de cercle vicieux qui s’accroît, s’auto-alimente et qui finira par exploser. Boom !
Et dans le monde de la musique?
Le monde de la musique n’est pas au mieux de sa forme, c’est le moins qu’on puisse dire. C’était déjà le cas bien avant 2008 et le début de la crise que nous connaissons aujourd’hui. Ça ne fait pas très longtemps que l’industrie du disque existe. Depuis les années 50 et l’invention des contre cultures, de la mise sur le marché d’une nouvelle espèce de consommateurs les « teenagers », l’industrie du disque génère des profits monstrueux et bien souvent sur le dos des artistes et du public. Ça ne pouvait pas durer très longtemps comme ça. D’autres industries suivront. Et puis on inventera autre chose, d’autres économies, d’autre formes, ça commence déjà. Bon c’est quand même bien dommage pour nous, on arrive au mauvais moment…
Pensez-vous que cela peut pousser des artistes, comme vous, à être moins exposés que ce qu’ils seraient en droit d’espérer?
Moi je ne me plains pas du tout ! La presse nous suit depuis le début et elle s’intéresse à nous pour les bonnes raisons, c’est assez sain et c’est une chance. Bon on n’a pas encore eu accès aux gros médias parce que notre album ne sort qu’en janvier mais enfin on n’est pas les plus malheureux franchement. C’est plutôt encourageant et c’était pas gagné au départ, avec un morceau comme « les copains »… On est arrivés avec quelque chose de frais, d’inattendu en 2009, et ça a tout de suite suscité une curiosité de la part des gens, du public, de la blogosphère. On a eu des déboires liés à Michelin, ce n’est pas très grave, on n’a pas besoin d’eux. On a aussi pris du retard et connu d’autres mésaventures, oui. C’était sans doute dû à un manque d’expérience de notre part couplé à une certaine incompréhension de la part des décideurs du monde du disque qui n’ont pas su ou voulu nous donner notre chance. Heureusement que nous avons rencontré de vrais passionnés qui font tout pour que les choses se passent de la meilleure façon. C’est allé beaucoup plus vite pour d’autres groupes, tant mieux pour eux.
« Ces refrains fédérateurs façon hymne de stade de foot, “on va à la mort, mais on y va en chantant”, me plaisent beaucoup. »
Je crois que ce n’est pas plus dur de se faire un nom en 2012 qu’en 1976, ce qui est devenu beaucoup plus difficile, c’est de gagner sa vie avec sa musique car le disque se vend beaucoup moins. Maintenant pour gagner de l’argent, il faut vendre sa musique à des marques, cela s’appelle la synchro. C’est le seul moyen de s’en sortir décemment aujourd’hui. Pour beaucoup de groupe, l’album n’est qu’un prétexte à fourguer deux ou trois synchro à des grandes marques, c’est pour ça que le chant en anglais est si répandu de nos jours. Il faut que la musique du spot Apple parle au monde entier. L’anglais est parfait pour ça. Les contingences économiques et le système ultralibéral dans lequel nous évoluons ont forcément des répercussions sur la création artistique. Ça prend cette forme aujourd’hui, ça en prenait une autre hier. Il faut s’adapter ou mourir. C’est ce que nous a appris Darwin, non ?
Peut-on considérer Internet comme le seul média pertinent pour un groupe comme le vôtre en 2023 ?
Je ne sais pas si c’est le seul média pertinent mais en tout cas j’ai bien l’impression que c’est le seul pour commencer à se faire entendre de la base. Dès qu’un groupe commence à faire parler de lui sur Internet, l’information remonte jusqu’aux maisons de disques qui scrutent le nombre de « like » sur Facebook, le nombre de vues sur « Youtube », le nombre d’occurrences Google. Ensuite ces grosses structures historiques prennent le relais et se chargent de vous donner le maximum de visibilité au près des gros média généralistes. Vous finissez ensuite sur les pages people du portail Yahoo. Et ainsi la boucle est bouclée !
En écoutant votre titre Les Copains j’ai tout de suite pensé à une composition de Frank Zappa, Lumpy Gravy Part.1. Vos influences ne sont-elles pas à chercher dans la pop anglaise ?
Frank Zappa je n’ai jamais pu, comme Beefheart d’ailleurs. C’est aux antipodes de ce que j’aime ressentir quand j’écoute de la musique (pourtant j’adore The Fall). De fait, je connais très peu puisque je n’ai pas creusé le truc. Ce morceau est pas mal du tout. C’est un instrumental comme Les copains. Une sorte de thème qui se déroule et provoque la frustration parce que le « refrain » arrive assez tard et seulement deux fois en 6 minutes. Je retrouve dans ce morceau de Zappa quelque chose qu’il y a dans Les Copains (outre le coté musique de film) le coté « surfisant » de la guitare lead et un certain souffle épique et mélancolique. J’adore la musique Surf (pour le coté musique Western à la base peut-être) et c’est pour ça que je suis fan de The Cure et du jeux de guitare de Robert Smith. Sinon, oui, nos influences ont clairement à voir avec la musique anglaise, le punk, l’indie pop, la new wave, mais aussi tout ce qui découle du jeu de guitare des Byrds, la jangle pop tout ça. J’aime le son des anglais et la manière qu’ils ont d’appréhender la musique populaire. Ces refrains fédérateurs façon hymne de stade de foot, « on va à la mort, mais on y va en chantant » ça me plaît beaucoup. Ils se plaignent rarement et chanter les rend plus forts. Ce doit être culturel.
Pourrait-on associer votre travail à celui de A-Ha ?
C’est pour le clip en dessins animés, c’est ça ? Nos visuels sont des créations originales du dessinateur Martin Etienne, on déclinera peut être cet univers en images animées pour en faire un vidéo clip un de ces jours, pourquoi pas ! Sinon je ne vois pas trop le rapport entre A-Ha et notre musique, peut être le coté « naïf » et immédiat ? Je ne sais pas mais cela m’a peut-être échappé. Cela dit ce morceau est plus que fantastique, j’ai une version démo de Take on me quelque part dans mon ordinateur, c’est assez surprenant, encore mieux que la version définitive. Bravo A-Ha.
En 2010, vous aviez remixé un morceau de The Chap. Comment l’opportunité s’est présentée et quel intérêt voyez-vous à ce genre d’exercice ?
Ce n’est pas un remix de The Chap par Aline mais un remix d’Arnaud Pilard, guitariste d’Aline. Il est sorti comme étant un remix fait par Young Michelin. Notre « bookeuse » chouchou de l’époque, Julie Tippex, se trouve être la femme du batteur de The Chap, la connexion fut sommes toutes assez facile.
Personnellement, je ne suis pas un grand fan des remix au sens stricte du terme même si il y en a d’excellents, Arnaud y arrive très très bien. Mon truc c’est plutôt les covers, les reprises. C’est techniquement plus facile. Je n’aime pas trop travailler avec des parties déjà enregistrées, c’est trop contraignant.
Si vous deviez exhumer un artiste pour jouer avec lui, lequel serait-ce?
Erik Satie pour qu’il m’apprenne à jouer du piano. J’aime beaucoup ce personnage, il devait être d’assez bonne compagnie. Brillant, iconoclaste, drôle, un vrai poète.
Plus généralement, quels sont les centres d’intérêt d’Aline quand elle ne joue pas de la musique?
Difficile de parler au nom de mes camarades. En tout cas la musique prend une bonne part de nos vies respectives, ça nous demande énormément de temps et d’énergie. Nous avons forcément moins de temps à consacrer au reste, c’est un peu dommage. Je m’intéresse depuis quelques années à l’astrologie naturelle, comme Françoise Hardy… Dès que j’ai le temps, j’essaye de creuser le sujet. L’astrologie me passionne. Il y est question de symbolisme, d’interprétation, de langage. C’est une science dure, dans tout les sens du terme, très éloignée des sciences occultes, complètement à l’opposé de la voyance. J’aime à tisser des liens entre l’astrologie et la psychanalyse ce qui n’est pas du goût de mes amies psy… J’aime bien faire la cuisine aussi, je sais que c’est la mode en ce moment mais ça m’a toujours plu. C’est exactement comme faire des chansons. Très peu d’ingrédients mais les bons et beaucoup de cœur à l’ouvrage. Je finirai ma vie à écrire des ouvrages de gastronomie astrologique !
Le retour aux modes passées est très en vogue à l’heure actuelle. Comment vous positionnez-vous vis-à-vis de ce mouvement qui semble bien postérieur à votre travail?
C’est cyclique, depuis les années 60 et même au-delà, les artistes, et plus globalement la société occidentale, aiment à se réapproprier les modes du passés, les façons d’être, de penser des temps jadis. Le retour en force des valeurs et des modes liées à l’antiquité sous le premier Empire par exemple ou la fascination des groupes des 60′s pour le piano ragtime et le charleston des années 20 en sont une bonne illustration. Ce qui est intéressant c’est qu’à chaque fois ce retour au passé correspond à une aspiration réelle des peuples à vouloir avancer, à une envie de changement très fort. Action/Réaction. C’est paradoxal mais il est des moments où pour avancer il faut reculer. Ça s’appelle prendre de l’élan. Naturellement à chaque retour de « modes » vient s’associer des éléments du présent ce qui crée encore quelque chose de différent. C’est automatique, on ne peut jamais complètement revenir en arrière, quoi qu’on fasse, on est dans le présent. Tant mieux d’ailleurs.
« On est allé contre un état de fait, contre l’air du temps, contre une uniformisation des pratiques et des esthétiques contemporaines qui commençaient à tourner à vide. »
Moi je n’ai pas de problème avec ça parce que c’est dans la nature de l’homme. Ce que je trouve stupide et contre-productif, c’est le copié-collé totalement dénué de recul. Nous (et les autres groupes de la nouvelle « nouvelle vague française » je présume) on nous parle toujours de « revival 80′s » mais je crois qu’en 2012 on est bien au delà des revival, on est passé à autre chose, sinon comment expliquer que le revival 80′s perdure depuis 15 ans ? Ça fait un peu long pour un revival ! Non je pense que cette période ultrariche musicalement est en passe de rentrer dans une espèce de patrimoine culturel mondial et qu’elle devient de ce fait une période classique, où l’on peut puiser ses sources à l’envie. Quelqu’un qui joue du Bach ou qui écoute de la musique sacrée est-il passéiste ? Rétrograde ? Réactionnaire ? En tout cas, nous, on est allé contre quelque chose, contre un état de fait, contre l’air du temps, contre une uniformisation des pratiques et des esthétiques contemporaines qui commençaient à tourner à vide, parce que l’on ne trouvait plus notre compte dans ce qu’on entendait ou voyait autour de nous. Il n’y avait plus d’émotions fortes, plus de magie nulle part. Cela ne fait pas de nous des réactionnaires pour autant, (et je n’ai rien contre les réactionnaires, il en faut). On veut juste aller de l’avant et se servir d’ingrédients anciens pour faire des choses nouvelles, qui nous ressemblent, qui ressemblent à des types vivants en 2012. Ça peut prendre une forme classique. Nous faisons une forme classique d’une certaine forme de pop classique, vous me suivez ?
Si vous deviez transformer votre musique, quelles modifications y apporteriez-vous?
On va voir comment ça évolue, c’est un work in progress soumis aux aspirations et humeurs du moment mais à l’avenir, toujours sur la base de notre musique et son noyau dure : la pop fragile à guitare, j’aimerais ajouter quelques éléments un peu sexy, canailles, dansant aussi. J’aime bien que la musique provoque des réactions fortes, des envies de prendre des risques, de prendre de la drogue, de se battre avec n’importe qui, de conduire vite, de faire l’amour à une inconnue qui passe, de s’engueuler avec des flics. Qu’il y ait un ressenti physique, sentir que ça pousse derrière, quelque chose d’un peu dangereux.
Vous définiriez-vous comme un groupe ? Rétro ? Vintage ?
Hum… Je pense avoir en partie répondu à cette question précédemment. Pour être clair, non, nous ne sommes en aucun cas un groupe rétro ou vintage. Nous sommes le chantre du retour à un certain classicisme pop si on veut. Je peux apprécier la cuisine moléculaire sans aimer la fabriquer et inversement. J’aime aussi beaucoup le pot au feu mais j’y rajoute des ingrédients qui ne sont pas dans la recette de base.
Qu’est-ce qui vous a poussé à vous engager dans cette direction?
L’ennui, le dépit, la tristesse de ne plus être en connexion direct avec la musique des années 2000, mon environnement affectif, l’air du temps. C’est l’impression d’être complètement à la ramasse, déphasé, de ne plus pouvoir aimer les choses, un rejet de mes contemporains et de leur préoccupation. Trop de tout, tout le temps, partout. Plus de silence, plus d’espace. Overdose complète et totale. Un désir profond de renaissance, de romantisme et de poésie. Aline ça a commencé comme ça.