Le dimanche, la dirigeante de la ville de Paris met en place une « consultation populaire » afin de déterminer si elle doit prohiber ou non l’utilisation des trottinettes électriques en libre-service dans la métropole. Dans le but d’avoir un impact sur le scrutin, les responsables des trottinettes ont lancé un vaste programme de lobbying.
« Es-tu pour ou contre les trottinettes en libre-service à Paris ? » C’est la question posée aux Parisiens le dimanche 2 avril dans certains bureaux de vote de la capitale. La maire socialiste de Paris, Anne Hidalgo, a souhaité organiser un référendum local sur les 15 000 trottinettes en libre-service de la ville. Cela a provoqué une lutte acharnée et un lobbying parfois excessif de la part des principaux opérateurs de trottinettes, qui ont beaucoup à perdre.
Depuis l’annonce en janvier dernier de ce vote citoyen par Anne Hidalgo, les trois principaux acteurs du secteur de la trottinette à Paris, l’américain Lime, l’allemand Tier et le franco-néerlandais Dott, ont uni leurs forces pour renverser les prévisions qui les donnent perdants dans ce référendum inhabituel. Depuis janvier, leur cible principale sont les 18-35 ans, qui représenteraient 70% de leur clientèle. Les trois opérateurs financent depuis un mois et demi une vaste campagne de communication sur Facebook, Snapchat et Instagram sur le thème : « Ne laisse pas les boomers décider pour toi ». Un site web « trottinonsmieux.com » a été lancé, des emails ciblés sont envoyés, et des éléments de langage sont utilisés sur les réseaux sociaux avec le hashtag #SauveTaTrott.
### Faire appel aux influenceurs
Fin février, Lime offre dix minutes gratuites en échange d’une preuve d’inscription sur les listes électorales. Au début de la dernière semaine de mars, alors que l’Assemblée nationale commence à discuter de la régulation des influenceurs, une dizaine de tiktokeurs et d’instagrameurs, dont certains comptent plus d’un million d’abonnés, publient simultanément des messages tels que : « Les trottinettes, c’est le truc le plus romantique. Dans une semaine, les amis, il faut aller voter pour sauver les trottinettes. Allez voter pour que je continue à séduire » ou encore « Alerte catastrophe ! Je vais t’expliquer comment tu vas m’aider. La mairie de Paris veut interdire les trottinettes électriques en libre-service dans toute la capitale, c’est pas cool. Les trottinettes électriques, c’est vraiment pas cher. Les prix sont vraiment très attractifs. »
Le mardi 28 mars, tous ces influenceurs mentionnent finalement sous leurs vidéos « partenariat rémunéré », car les trois opérateurs de trottinettes sont évidemment à l’origine de cette campagne éclair, ce que Maggy Gerbeaux, directrice des Affaires publiques chez Dott, assume totalement. Elle rappelle que le scrutin a lieu un jour de marathon sur seulement 21 lieux de vote, sans vote électronique ni procuration : « Les réseaux sociaux, Instagram, Tik Tok, pour moi, ce n’est pas de l’agressivité, c’est de la communication. Aujourd’hui, c’est comme ça qu’on communique. En fait, il n’y a rien de caché, ce sont des contenus sponsorisés, on a le droit de le faire. On a juste fait une communication qui parle aux gens qui utilisent nos trottinettes. »
### « On est à la limite de l’achat de vote »
« Je m’interroge sur la zone grise, dans l’usage qu’on peut faire de ces influenceurs ou de cette forme de lobbying auprès des plus jeunes », réagit David Belliard, adjoint aux mobilités à la Ville de Paris. Pour agacer encore davantage celui qui est à l’origine de la votation, les opérateurs annoncent également une journée de trottinettes gratuites pour aller voter dimanche. « On est à la limite de l’achat de vote », déclare l’élu écologiste : « On voit bien qu’il y a une zone d’ombre lorsqu’on a affaire à des intérêts particuliers très forts, avec beaucoup d’argent, cet argent est massivement utilisé avec l’achat de votes. » Ce référendum inédit à Paris est néanmoins supervisé par une commission de contrôle indépendante.
Les opérateurs de trottinettes n’ont pas été passifs face à ce vote. Si le « contre » l’emporte, Lime, Dott et Tier devront retirer leurs 15 000 trottinettes des rues, utilisées chaque mois par 400 000 usagers. Le vote « contre » menacerait également 800 emplois à Paris, selon les opérateurs. Erwann Le Page, directeur des affaires publiques chez Tier, qui a enregistré quatre millions de trajets à Paris l’année dernière, déclare : « Aujourd’hui, nous voulons structurer nos acquis sur les 600 villes dans lesquelles nous sommes. Paris a un leadership là-dessus, c’est une ville symbolique. Ce serait une décision plutôt à contre-courant. Nous sommes à Lyon, Londres, Rome, Madrid, Washington, qui vient d’augmenter sa flotte de trottinettes. Le mouvement est maintenant lancé. Les villes ne font pas marche arrière. » Derrière cette apparence de calme, ces trois startups éprouvent pourtant une incertitude, n’étant pas habituées à laisser leurs intérêts au hasard. Pour elles, la chasse aux voix se poursuivra jusqu’à la dernière minute.







