Chaque samedi, l’historien Fabrice d’Almeida nous offre une nouvelle approche de l’actualité en la replaçant dans son contexte historique.
Alors que le Festival de Cannes vient de débuter, une première controverse a éclaté autour du film de Maïwenn, Jeanne du Barry, avec Johnny Depp en tête d’affiche. Un groupe d’acteurs et d’actrices considère Depp comme un agresseur et coupable de violences conjugales. Depp se défend et trouve ridicule cette mobilisation autour d’une « fiction ».
Ce type de bataille d’opinion n’est pas nouveau à Cannes. On peut même dire que le Festival est né de la lutte idéologique entre les démocraties et les dictatures. En effet, sa création, initialement prévue en 1939, était due à la volonté de Jean Zay, ministre de l’Éducation nationale chargé de la Culture, choqué par les résultats du Festival de Venise, La Mostra, qui avait favorisé les films nazis allemands et fascistes italiens l’année précédente. Zay soupçonnait Mussolini d’avoir influencé ces résultats. Il voulait créer en France un lieu de reconnaissance pour le cinéma des démocraties. La guerre en 1939 empêche la tenue du Festival, programmé pour septembre de la même année.
Lorsque le Festival reprend après la Seconde Guerre mondiale, il porte en lui ce lien avec les grands conflits de l’époque, notamment la guerre froide, car il invite des cinéastes de tous les pays : beaucoup d’Américains, mais aussi des Soviétiques. Cependant, la plus grande bataille de Cannes a eu lieu en mai 1968. Un groupe de réalisateurs, avec notamment Truffaut et Godard, décide de demander l’arrêt du Festival pour montrer leur solidarité avec les étudiants en grève, et finit par obtenir gain de cause, non sans quelques échanges de noms d’oiseaux lors des assemblées.
Le reflet du monde dans les films de Cannes
En réalité, chaque grand conflit est représenté sur le grand écran à Cannes : la guerre du Vietnam en 1979, par exemple avec la Palme d’or pour Apocalypse Now, ou pendant la guerre en ex-Yougoslavie, les controverses autour d’Émir Kusturica lors de la présentation d’Underground, car le réalisateur serbe critique les Croates et les Bosniaques comme collaborateurs du nazisme.
En 2018, le Festival est marqué par les tensions autour du mouvement #meetoo et d’Harvey Weinstein, qui avait été honoré à Cannes dès 1994 avec Pulp Fiction de Tarantino, film lui-même au centre d’une polémique sur sa mise en scène de la violence. Et l’année dernière, la guerre en Ukraine était également représentée au Festival.
Cannes est bien le reflet des grands clivages de notre monde. Mais il est bien plus que cela. Le personnage principal du Festival reste le cinéma. Derrière lui, de nombreux seconds rôles font vivre cette industrie : producteurs, acheteurs de droits, avocats et financiers qui font du Festival de Cannes le plus grand marché mondial du cinéma. C’est un avantage pour la France, souvent oublié, dans la grande bataille économique mondiale.