Minecraft, un FPS lowtech aux graphismes si dépassés qu’il semble presque être un « produit marketing » tout droit sorti de la tête défaite de quelques publicitaires misant sur la mode du 8-bit. Minecraft, un jeu sans intérêt pour geeks poseurs. Minecraft, du pr0n intellectuel pour Nerd prétentieux. Minecraft, « ah ouais, le truc avec des cubes où tu creuses ! » Qu’est-ce que Minecraft ?
Ce jeu est l’œuvre d’un homme seul : Markus Persson, le fameux Notch. Le choix d’une esthétique simpliste et d’un gameplay sommaire s’expliquent, d’ailleurs, en partie, parce que le créateur voulait garder la maîtrise de sa création. En limitant son ambition, il pouvait s’occuper personnellement de chaque phase du développement, ne laissant que le son et la musique lui échapper et être confiés à C418 qui a su donner ce qui était le mieux adapté à l’idée originale.
La façon dont commence une partie, la présence de longues scènes cinématique, de tutoriels, etc., en disent souvent très long d’un jeu. Rien de cela pour Minecraft. On est simplement jeté dans le monde, souvent dans une clairière, ou au bord d’un océan que l’on imagine sans fin. Ce monde est fait de cubes d’un mètre sur un. Ces cube sont, pour ainsi dire, les particules élémentaires de cet univers. Ils peuvent être cassé, déplacés, mais aussi transformés car du bois on fait des planches, des planches un établi et sur l’établi, le bâton et la pierre forment une hache ou une pioche.
Homo ludens
Mais avant de songer à créer des outils, à construire des fours, à devenir forgeron puis à bâtir une demeure, le jeu s’impose naturellement. Quel est donc ce jeu ? Celui de la survie. Il faut se nourrir et, pour cela, chasser ou pécher. Mais le cochon ou la vache, même s’ils sont bien traqués, sont souvent difficile à tuer. L’épée de bois ou de pierre — bientôt de fer — place sous sa main la vie de ces êtres dont on se nourrit, dont on se vêt.
Déjà, donc, la nécessité impose la pensée et la pensée l’outil. Libre d’aller où le pousse son désir, le joueur n’a d’autre tâche que de persévérer dans son être. Mais à quoi bon cette vie ? À quoi bon toute vie ? Car, avant de vouloir vivre, il faut encore vouloir cette volonté. Aucune des habituelles récompenses tarifées en points qui font les jeux ordinaires n’est là pour artificiellement la provoquer.
Libido sciendi
Il faut se tourner vers soi et trouver en soi et pour soi sa propre raison de vivre. La volonté est le salut, mais, après tout, qui n’a rien à faire, un rien suffit à l’occuper. Le subtil sait que l’homme est un animal de proie et que la première des proies est la connaissance. Avant d’arraisonner les bêtes d’un trait, le monde s’offre à chacun et chacun le reçoit en lui et le fait sien. La gibecière est celle des souvenirs et Minecraft la remplit bellement. Les paysages de cube sans texture peuvent inspirer le mépris à celui qui ne jure que par le photo-réalisme des FPS modernes, mais la beauté réside dans cette simplification partielle et partiale du monde. Minecraft distille et abstrait l’essence du paysage, il en dévoile la rassurante étrangeté. Il le montre comme jeu du ciel et de la terre, de la mer couleur de vin et des arbres mortels et, alors, l’invisible devient visible et l’œil en saisit l’esprit.
Cependant, sous la surface du monde qui est sa vérité, se cache une autre vérité : celle d’un monde obscur et souterrain. Une torche à la main, le joueur cède à la sinistre séduction de la gueule béante d’une caverne et pénètre l’obscurité. Là, il découvre des monstres et des minerais, la peur et l’avidité…
Homo faber
« A la lutte de la culture et de la nature succède le calme serein de la civilisation toute puissante et si mortelle pour ses ennemis. »
Revenu à la surface, blessé, épuisé, mais riche, il songe à s’établir, à habiter un monde qu’il fait de plus en plus sien et qu’il aime d’autant plus qu’il le connaît. Il craint pour sa vie, car désormais sa vie est pleine de souvenirs et de place pour les souvenirs du futur. Jusque là, il échappait aux danger de la nuit perché en haut d’un arbre ou dans le fond d’une grotte scellée de terre. Maintenant vient le temps de bâtir, de s’abriter et d’abriter ses premiers coffres regorgeant de matières premières qu’il faudra transformer et dont il fera les prolongations de ses mains.
La hache abat les arbres et ouvre la forêt au ciel. L’épée et, surtout, l’arc prémunissent des monstres. Mais, surtout, les barrières, les tours, les hauts murs des maisons fortifiées aux toits en terrasse d’où s’étend la vue, les routes balisées de torches, tout cela ajuste le monde aux désirs du joueurs et rend toute chose accessible.
Puis vient le temps de la ruse technique et des dispositifs audacieux. Un seau de lave à la main, le joueur pénètre dans une grotte et, tel Bomber Harris au-dessus de Dresde, le verse et consume l’obscurité et les monstres dans le feu purificateur. Le monde se fait jardin. A la lutte de la culture et de la nature succède le calme serein de la civilisation toute puissante et si mortelle pour ses ennemis.
Libido dominandi
Minecraft cesse alors d’être en dehors de soi, devant soi ; le joueur n’est plus face à l’écran, au jeu. Certes, il ne faut pas commettre l’erreur de rabattre la technique sur l’outil. L’outil change le jeu, bien sûr, mais c’est le joueur, fut-il changé par lui, qui continue à lui donner son sens. Plus : le joueur est le sens du monde. Le monde se met, par l’outil, sous sa domination et, peut-être alors, que, du même coup, sa vérité se trouve anéantie et vient alors le temps de la domination.
Minecraft est Terra nullius : ni frontières, ni propriété, seul le droit du plus fort et le plus fort est le joueur sinon, il serait mort. De la modification du monde découle la propriété sur le modifié. Du champs, de l’enclos où paissent vaches, moutons ou cochons, de la maison, surtout, de ses murs, de ses fenêtre, de la chambre, de la cave d’où partent en toute direction des galeries qui s’enfoncent au cœur de la terre, naît le sentiment de la possession puis l’idée d’enracinement.
Le joueur devient seigneur, sa maison, donjon. Aucun monstre n’est assez puissant pour abolir sa tour. Il est chez lui sur les hauteurs. Devenu quelqu’un qui regarde vers le bas, il ne craint plus rien, mais sa force est sa faiblesse car nul n’est plus malheureux et misérable qu’un roi sans divertissement.
Plus il a su développer la technique dans ses mains, plus le danger a reculé en ce monde. Il a mené une guerre d’anéantissement aux monstres nocturnes, puis à la nuit elle-même, cette condition des monstres. Rien n’empêche plus sa technique d’accomplir son œuvre de confirmation et d’établissement de la civilisation. La puissance devient ennui et l’ennui, angoisse.
Homo prometheus
« Désormais, il est le maître et il découvre que cela ne le satisfait point. »
Le joueur n’a vécu, survécu plutôt, que par le meurtres et la destructions. Il n’aspirait, et n’a toujours aspiré, qu’à régner en maître. Car qui ne tue pas est tué. Désormais, il est le maître et il découvre que cela ne le satisfait point.
Dans ce monde où la fin fait défaut, il a su faire naître en lui-même sa propre finalité. Il a survécu, il a construit. Il a comblé des vallées et abaissé montagnes et collines pour que soient droites les murailles de son château. Dans leur enceinte, les salles succèdent aux salles, des couloirs sans fin s’entrecroisent. D’immenses fenêtres de verre s’ouvrent sur des paysages domestiqués ou à la virginité étudiée. Ses tableaux, sa bibliothèque, son alambic ou sa table d’enchantement, sont les marques de sa réussite et les instruments de sa puissance, mais ils le laissent sur sa faim.
Il longe la courtine qui domine une forêt dont il a planté chacun des arbres ; il marche jusqu’à la gigantesque cheminée au feu éternel ; il se promène dans les magasins où des dizaines de coffres débordent d’or et de diamants, puis il va dans la petite pièce secrète où se trouve un portail qui s’ouvre sur l’enfer. Mais l’enfer ne lui fait plus peur : il y a passé tant de saisons. Il lève les yeux vers la tour la plus haute, si haute qu’elle se perd dans le ciel, et il sourit car il connaît l’art divin de l’oubli. Alors, il tourne le dos au passé, et s’en va voler le feu ailleurs pour un nouveau commencement.