Chaque mois de juillet, pendant trois semaines, la ville d’Avignon, dans le sud de la France, accueille des spectacles de théâtre et d’arts de la scène du monde entier. Il y a une émotion toute particulière dans l’air pour les spectateurs, interprètes et réalisateurs qui découvrent le festival pour la toute première fois.
L’événement attire des milliers de personnes venues de France et du monde entier, des spectateurs avertis à la recherche des grands noms de la scène et de l’adrénaline du spectacle vivant, aux curieux de l’un des nombreux événements parallèles de la catégorie « off ».
Le Festival Off d’Avignon est l’un des plus grands festivals d’arts vivants au monde. Ollia Horton de 42mag.fr English était là. pic.twitter.com/OfCfYf4MIZ
— 42mag.fr anglais (@RFI_En) 7 juillet 2023
Tout le monde dit qu’il y a quelque chose de particulier à venir au festival d’Avignon pour la première fois, et d’ailleurs les organisateurs ont imaginé un petit livret d’accueil, destiné à préparer le (jeune) public à une découverte culturelle et pédagogique.
Il n’y a pas que les spectateurs qui vivent le syndrome de la « première fois ». De nombreux professionnels sont confrontés à des débuts, quoique d’une nature différente.
Prenez Julie Deliquet par exemple. La réalisatrice de 43 ans fait partie du festival pour la première fois de sa carrière, bien qu’elle soit la coqueluche du monde du théâtre français. Auparavant, elle assistait en tant que spectatrice.
Elle s’est sentie particulièrement honorée d’être invitée à mettre en scène son drame social « Welfare » lors de la soirée d’ouverture du festival le 5 juillet, dans la cour centrale du Palais des Papes, au cœur de la ville.
Pouvoir au peuple
Elle n’est que la deuxième femme metteur en scène, après Ariane Mnouchkine, à monter une pièce dans ce lieu prestigieux en 77 ans d’histoire du festival.
« Welfare » prend la société à la loupe avec une performance très réaliste. C’est un monde loin de la nuit d’été remplie de cigales et exige que le public s’assoie et fasse attention. Ce ne sont pas vraiment des heures de détente. Le public est mis mal à l’aise. Mais il y a des moments inattendus d’humour et de légèreté.

Les acteurs représentent ceux qui sont en marge ; les pauvres, les pauvres, les sans-abri. Ils font la queue depuis des heures pour voir un travailleur social. Ils sont tous dépassés, frustrés, perdus.
S’adressant au public lors d’une conférence jeudi, Deliquet a décrit les défis de l’écriture de la pièce avec la cour papale à l’esprit. Ouverte sur le ciel, entourée de hauts murs de pierre, la scène fait partie intégrante de la pièce.

« Je veux ramener la parole des gens ordinaires au cœur de la ville », dit Deliquet. Physiquement, les acteurs sont éclipsés par l’opulence imposante de l’amphithéâtre et cela ajoute à l’effet dramatique.
Le scénario est adapté d’un documentaire de 1973 réalisé par l’Américain Frederick Wiseman. Bien que l’original se déroule il y a 50 ans à New York, elle soutient que le portrait de la nature humaine et des crises sociales sonne vrai quel que soit le moment et le lieu, surtout aujourd’hui.
Les gens sont toujours pauvres, privés de leurs droits et luttent pour faire face aux montagnes de paperasse créées par la machine administrative du « bien-être ». Ils ont l’impression que personne n’écoute vraiment, surtout l’État.
En clin d’œil aux récents événements violents en France, avant l’ouverture du spectacle, Deliquet est monté sur scène pour demander une minute de silence à la mémoire de Nahel, le jeune de 17 ans tué par la police le mois dernier pour ne pas s’être arrêté à un point de contrôle de la circulation.
« Je veux que le théâtre mette les gens en colère », a déclaré Deliquet au magazine Telerama avant l’ouverture de sa pièce qui se déroule jusqu’au 14e Juillet.
« Welfare » exploite cette colère et laisse le public avec matière à réflexion, et personne ne s’en sortira indemne.
Renoncer au contrôle
Profitant également de la sensation de participer au festival pour la première fois, l’acteur, écrivain et réalisateur britannique Tim Crouch. C’est en fait sa toute première représentation en France, bien que ses pièces soient jouées dans toute l’Europe depuis des années. Il a amené deux pièces à Avignon : « Un chêne » et « La vérité est un chien incontournable du chenil ».

Avec « An Oak Tree », Tim tient à remettre le public au centre de l’action. Pour ce faire, il interprète son rôle face à un acteur qui n’a jamais vu la pièce auparavant. Chaque soir est comme une première, mettant en scène un nouveau partenaire, d’une nationalité différente.
Il a déclaré à 42mag.fr qu’en écrivant pour le théâtre, il devait « abandonner le contrôle » et laisser certaines choses ouvertes à la possibilité et à l’incertitude. Posez plus de questions.
« Je veux détourner l’attention des lignes d’apprentissage, des répétitions excessives », a-t-il déclaré à 42mag.fr. « Ce n’est pas que je suis paresseux, mais je veux inviter le public à cimenter la pièce. Le public a le pouvoir de changer le monde et, en fait, de changer l’expérience de la pièce ».
Installée dans la cour du majestueux Cloitre des Célestins, jusqu’au 11 juillet, elle n’est qu’une des douze pièces du festival jouées en anglais, langue d’honneur cette année.
Marcher sur la lune
Pendant ce temps, le réalisateur français Philippe Quesne a eu sa première pour sa pièce à la Carrière de Boulbon – une carrière dans un village, à 15 km d’Avignon.
C’est la première fois depuis 2016 que la carrière est utilisée comme scène extérieure de fortune. Il s’inscrit dans la volonté du nouveau directeur artistique Tiago Rodrigues de réintégrer les décors naturels dans l’équation théâtrale du festival.

Son « Jardin des Délices » s’inspire en partie du 16e tableau triptyque du siècle de Jérôme Bosch, plein de paysages fantastiques et oniriques
« Boulbon, c’est comme être sur la lune », a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse jeudi. « Le site est plein de fantômes, un rappel de tous les artistes qui s’y sont promenés auparavant. J’ai l’impression de leur rendre hommage ».
Il a décrit la répétition générale en présence des villageois locaux – environ 200 habitants sur 300 sont venus voir le spectacle. Une dame lui a dit qu’elle n’avait rien compris à la pièce mais qu’elle avait hâte d’en savoir plus sur Bosch, dont elle ne savait rien.
C’est ça le truc du festival d’Avignon, c’est difficile de repartir sans avoir au moins appris une nouvelle chose à chaque spectacle.