À l’origine des divulgations concernant un soutien militaire français détourné en Égypte, la reporter Ariane Lavrilleux a été mise en détention provisoire mardi avant d’être libérée. Une action inhabituelle qui a été critiquée par les défenseurs de la liberté de la presse.
Ariane Lavrilleux, journaliste chez Disclose, dénonce une attaque frontale de la liberté d’informer. Cette déclaration fait suite à sa mise en garde à vue à Marseille, déclenchée par une enquête qu’elle avait publiée en novembre 2021, révélant un possible détournement par l’Egypte d’une opération de renseignement française dans ce pays. Elle a été libérée mercredi 22 septembre après près de deux jours d’interrogatoire. De nombreux médias et journalistes ont exprimé leur colère, qualifiant ces mesures d’atteintes inacceptables à la liberté de la presse. Le gouvernement, de son côté, n’a pas commenté l’affaire.
Enquête sur un potentiel détournement de l’aide militaire française en Egypte
L’enquête, adaptée pour être diffusée dans l’émission de France 2 « Complément d’enquête », dévoilait comment l’Egypte avait détourné l’opération française de renseignement Sirli, initiée en février 2016. Cette mission, lancée officiellement dans le but de lutter contre le terrorisme, aurait selon Disclose servi à fournir des armes au régime égyptien du général Abdel Fattah Al-Sissi. L’Egypte aurait par la suite utilisé les informations collectées grâce à cette mission pour mener des frappes aériennes sur des contrebandiers présumés à la frontière égypto-libyenne. Les documents classés « secret défense » obtenus par Disclose indiquent que l’armée française aurait été impliquée dans au moins 19 bombardements contre des civils dans cette zone entre 2016 et 2018. Les autorités françaises n’auraient pas pris les mesures nécessaires pour réexaminer la mission, en dépit des inquiétudes de certains responsables à propos de possibles dérapages liés à cette opération.
Ouverture d’une enquête judiciaire en juillet 2022
Suite à ces révélations, le ministère français des Armées a porté plainte pour « violation du secret de la défense nationale ». Une enquête préliminaire a ensuite été ouverte en novembre 2021, avant qu’un juge d’instruction soit désigné en été 2022. Dans ce contexte, Ariane Lavrilleux a été placée en garde à vue et une perquisition a été effectuée à son domicile. Elle est accusée de « compromission du secret de la défense nationale » et « révélation d’informations pouvant conduire à identifier un agent protégé ».
Un ancien militaire également mis en examen
Un ancien militaire, suspecté d’être à l’origine de ces fuites, a aussi été mis en examen à Paris. Il est poursuivi pour « détournement » et « divulgation du secret de défense nationale ». Il encourt une peine de 7 ans de prison et une amende d’un million d’euros. Il a été placé sous contrôle judiciaire. Le procureur de Paris a précisé que l’enquête se concentrait sur un membre du ministère de la Défense.
Les médias et les ONG dénoncent une atteinte à la protection des sources journalistiques
Cette mesure a suscité l’indignation de nombreux journalistes. Quarante sociétés de journalistes, dont celles de Médiapart, France Télévisions ou France 24, ont dénoncé cette situation comme étant gravissime et une attaque sans précédent contre la protection des sources journalistiques. En France, le secret des sources journalistiques est protégé par la loi depuis 2010. Plusieurs ONG, dont Reporters sans frontières (RSF) et Amnesty International, ont condamné cette atteinte à la liberté de la presse.
Le gouvernement s’abstient de tout commentaire
Olivier Véran, le porte-parole du gouvernement, a refusé de s’exprimer sur cette affaire. La ministre de la Culture, Rima Abdul Malak, défendant toujours la liberté de la presse, s’est également abstenue de tout commentaire.
Multiplication des atteintes à la liberté de la presse au cours des dernières années
Pour Ariane Lavrilleux, son arrestation s’inscrit dans une série d’attaques contre la liberté de la presse qui se sont multipliées sous la présidence d’Emmanuel Macron. En effet, ces dernières années, plusieurs journalistes et médias ont été convoqués par la DGSI ou poursuivis par la justice. En 2019, Ariane Chemin du Monde a été convoquée par la DGSI pour l’affaire Benalla, et les fondateurs de Disclose ont été interrogés par les services de renseignement après avoir révélé l’usage d’armes françaises dans la guerre au Yémen. Une journaliste de l’émission « Quotidien », après avoir travaillé sur les ventes d’armes françaises à l’Arabie Saoudite et aux Emirats arabes unis, a été convoquée par la DGSI en 2019. En 2022, trois journalistes de la cellule investigation de Radio France ont également été convoqués à la DGSI suite à la publication d’une enquête sur des soupçons de trafic d’influence au sein de l’armée française. Alex Jordanov, auteur d’un livre sur les renseignements intérieurs, a été mis en examen en juin 2022 pour divulgation du secret défense.