Dans l’esport, les rémunérations des participants professionnels ont considérablement augmenté ces dernières années sur certains jeux, à tel point que Riot Games, le créateur de « League of Legends », a récemment annoncé une régulation des salaires. Nous allons analyser cette situation avec Laure Valée et le dirigeant de Vitaly, Nicolas Maurer.
Riot Games a décidé d’introduire un « plafonnement salarial », qui sera instauré dès l’an prochain pour le championnat européen de League of Legends. Pour donner une perspective sur cette décision, nous avons sollicité les commentaires de Nicolas Maurer, le PDG de Vitality, et les analyses de Laure Valée, spécialiste esport de franceinfo.
franceinfo : Les équipes auront donc un contrôle strict sur leur budget salarial et devront payer une pénalité si elles dépassent le plafond fixé ?
Laure Valée: En effet, certaines équipes vont devoir repenser leur stratégie de recrutement et gérer leur budget plus prudemment ! Riot Games, l’organisateur des tournois, a déclaré cette semaine que la masse salariale totale des cinq joueurs d’une même équipe ne pourra pas dépasser un certain montant, pour l’instant fixé à environ 2 millions d’euros par an.
Est-ce que cela signifie que certains joueurs perçoivent actuellement plus de 500.000 euros par an ?
Oui, les salaires dans le domaine de l’esport peuvent être extrêmement élevés, cela dépend du type de jeu. Bien sûr, cette situation concerne une minorité de professionnels, mais c’est bien le cas pour les meilleurs d’entre eux. Ces derniers sont des talents rares, avec des cotes de popularité extraordinaires et des millions de fans, ce qui justifie ces hauts salaires.
Mais il y a aussi une dimension de compétitivité internationale, notamment avec le championnat américain, qui attire les meilleurs talents. Et même si l’esport a connu une croissance fulgurante ces dernières années, avec l’arrivée de nombreux sponsors et le bourgeonnement des investissements, il est raisonnable de revoir les standards salariaux à la baisse, pour des raisons à la fois économiques et concurrentielles.
Quelle est l’utilité de plafonner la masse salariale des équipes d’un même championnat ?
Il y a un système similaire en place en NBA, la ligue professionnelle de basket-ball aux États-Unis, avec un plafonnement salarial instauré il y a plusieurs décennies. Les équipes qui dépassent cette limite sont soumises à une amende, qui est ensuite redistribuée aux équipes les moins riches qui suivent les règles. En Esport, le fonctionnement sera à peu près le même.
L’objectif est de maintenir une stabilité financière pour les équipes. Nous sommes dans un système qui ne prévoit ni relégation ni promotion. Il est donc essentiel de garantir la pérennité des équipes. Par ailleurs, cela vise aussi à maintenir une certaine compétitivité entre les équipes et à conserver un intérêt sportif, le but étant d’éviter des confrontations déséquilibrées et de ne pas laisser la victoire éternellement aux équipes les plus riches.
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Quelles sont les répercussions pour les clubs concernés ?
Nous avons posé cette question à Nicolas Maurer, PDG de Vitality, un club français qui joue en LEC, le championnat européen de League of Legends.
franceinfo : Est-ce que ce plafonnement salarial est une bonne ou une mauvaise chose pour Vitality ?
Nicolas Maurer : Pour Vitality, c’est une bonne chose, et pour l’écosystème esport et League of Legends plus généralement aussi. Cette mesure va nous permettre de planifier plus sereinement l’avenir et de créer un écosystème pérenne.
<"On n'aura pas forcément besoin de baisser les salaires. La mesure affectera un nombre limité de joueurs. L'esport est en train de se rationaliser, avec les équipes faisant preuve d'une plus grande prudence aujourd'hui en ce qui concerne les dépenses et les salaires des joueurs.">
Après une inflation salariale sensible, cette mesure va-t-elle soulager les clubs ?
La mesure n’aura pas un gros impact à court terme parce que, en fait, le marché est déjà en train de se corriger. Les équipes sont actuellement plus prévoyantes en ce qui concerne les dépenses et les salaires des joueurs que par le passé. Ce mouvement de correction est déjà en cours.
Cette limitation de la masse salariale est plutôt un enjeu pour l’avenir. Il s’agit de s’assurer qu’à long terme, les salaires des joueurs sont proportionnels à la valeur générée par le championnat. Autrefois, nous savons que les clubs ont proposé des contrats trop élevés aux joueurs par rapport à l’économie réelle du secteur, ce qui n’était pas viable à long terme.
Allez-vous devoir baisser les salaires lorsque vous renouvellerez les contrats ?
Nous n’aurons pas forcément à baisser les salaires. Les chiffres fournis par Riot Games et la méthode de calcul pour instaurer ce nouveau système sont basés sur la réalité actuelle. Cependant, quelques joueurs de haut niveau sont hors marché. Les corrections et ajustements ne concerneront qu’un nombre limité de joueurs.
Comment les joueurs ont-ils réagi à cette annonce ?
Nous n’avons pas vraiment discuté avec les joueurs à ce sujet. Il n’y a pas eu de déclarations publiques de leur part. Comme l’impact est faible à court et à moyen terme, je ne pense pas qu’il y ait eu de grandes réactions.
Est-il possible d’outrepasser la limite salariale et de payer la taxe de luxe aux autres clubs ?
C’est l’une des raisons pour lesquelles ce système a été créé. Ce n’est pas un système basé sur l’interdiction ou la sanction, mais plutôt sur une pénalité en cas de dépassement de la limite. Cela peut encourager une équipe à prendre un risque économique, à estimer qu’elle peut dépenser plus pour servir ses intérêts.
Cependant, c’est beaucoup plus difficile de faire ce choix. L’équipe devra avoir de bonnes raisons pour le faire, car l’argent dépensé et la taxe générée seront redistribués aux concurrents. Il y a donc de nombreux obstacles à cette décision, mais elle n’est pas impensable.
Y a-t-il un risque de voir les talents migrer vers d’autres régions ?
En réalité, à mon avis, cette mesure ne change rien. Avant l’instauration de ce plafonnement salarial, il y avait déjà un risque de voir des talents partir, car certaines ligues, comme les LCS, étaient en mesure de payer plus lorsque le marché était florissant. Certains talents étaient déjà attirés ailleurs, tandis que d’autres préféraient la compétitivité de l’Europe.
Je pense que la situation restera la même. Ce qui pourrait contrebalancer ce risque, ce sont les règles concernant les importations. Chaque région ne peut avoir que deux imports et doit aligner trois joueurs issus de son championnat domestique. Cette règle limite les déplacements d’une ligue à l’autre.
Est-il sûr que cette mesure ne sera pas contournée ?
Nicolas Maurer : Ma réponse à cette question est double. Premièrement, nous avons une grande confiance dans la robustesse du système établi par Riot Games. Je suis honnêtement impressionné par ce que j’ai vu, ils ont pensé à tout. C’était amusant de voir les réactions sur Twitter, qui étaient plutôt basiques.
Évidemment, ils ont tout pris en compte. Mais comme toute règle, certaines personnes tenteront peut-être de la contourner. L’important, c’est également les moyens de contrôle qui vont de pair. Riot a prévu de pouvoir effectuer des audits, et d’examiner de près les comptes des clubs. Donc je pense qu’il y a très peu de risques. Et je suppose que le système sera mis à jour, mais cette première version est déjà bien conçue.