Avec son premier long métrage « Banel & Adama », la réalisatrice franco-sénégalaise Ramata-Toulaye Sy a choisi de mettre en lumière la culture peule. Elle apporte une voix féministe à l’histoire d’un jeune couple marié confronté au poids de la tradition familiale.
Sy était l’une des sept réalisatrices présentées dans la programmation principale de la compétition du Festival de Cannes en mai. Son premier long métrage « Banel & Adama » est sorti mercredi dans les salles françaises.
Travailler avec des acteurs non professionnels en langue peule a été particulièrement difficile, a-t-elle déclaré à 42mag.fr.
Ses acteurs principaux – Khady Mane (Banel) et Mamadou Diallo (Adama) – ont décrit à quel point ils étaient nerveux au début en participant au projet. Ils conviennent que grâce à la patience de Sy, l’effort collectif a porté ses fruits.
Le couple donne des performances réfléchies et sincères en tant que couple nouvellement marié vivant dans un village de la région de Futa-Toro, au nord du Sénégal.
« Je n’étais pas du tout prête et je me disais que je n’y arriverais jamais », se souvient Khady Mane, qui incarne Banel. Sy a rencontré Mane sur un marché alors qu’il recherchait des emplacements au Sénégal.
« Avec l’aide de Ramata, j’ai réussi l’audition. Le tournage n’a pas été facile mais elle m’a coaché ».

Influences artistiques
Bien qu’inspirée par le village d’où étaient originaires les parents de Sy et où elle passait ses vacances d’enfance, Sy dit qu’elle ne voulait pas recréer un énième film cliché sur la culture africaine.
Elle n’a délibérément pas abordé le paysage et les gens avec un œil documentaire, mais a plutôt choisi de s’orienter vers l’expression artistique.
Une grande partie des images proviennent de son imagination, explique-t-elle. Chaque cadre est comme un tableau, la couleur et la lumière représentant les émotions. L’utilisation des sons et du silence crée un effet onirique entre fantasme et réalité.
Sy dit que ses influences viennent de la littérature et de la peinture.
« Le réalisme magique de Toni Morrison, Racine et ses tragédies, Maya Angelou et sa poésie, mais aussi les peintures de Van Gogh, Edvard Munch, Kerry James Marshall et Amoako Boafo. Les histoires de griots que ma mère me racontait quand j’étais enfant m’inspirent aussi », confie-t-elle dans un entretien avec les organisateurs du festival de Cannes.
Banel est une femme forte et farouchement indépendante, qui n’a pas peur d’être désagréable, dit Sy.
Elle porte des vêtements pour hommes et ne veut pas avoir d’enfants. Sa passion pour Adama est égoïste au point de la conduire à la folie.
Sy dit s’être inspirée de personnages mythiques tels que Médée et Lady Macbeth ainsi que de sa propre personnalité qui a « une touche de folie comme Banel ».

Le défi de la double culture
En revanche, Adama représente le côté plus doux de la réalisatrice et est un clin d’œil à sa double culture. À travers lui, elle veut montrer le « côté sensible des hommes africains » peu exploré dans la culture populaire.
La relation entre Banel et Adama est mise à l’épreuve alors que Banel exprime le désir de vivre en dehors de la communauté. Adama est partagé entre son amour pour Banel et la nécessité d’assumer le rôle de chef de village, selon la tradition.
Suivant le chemin d’une tragédie classique, la colère intense de Banel grandit et on lui reproche d’avoir provoqué une sécheresse apocalyptique qui dévaste la vie du village.
Le festival de Cannes 2023 a été une grande année pour le cinéma africain avec deux films en compétition et plus d’une dizaine de longs métrages en sections parallèles, tandis que la réalisatrice marocaine Maryam Touzani et la réalisatrice zambienne Rungano Nyoni étaient membres du jury.
Être présente à Cannes a été un immense honneur, dit Sy, ajoutant qu’elle est heureuse que les films africains obtiennent enfin davantage de reconnaissance de la part des pays occidentaux.
« Les Sénégalais sont très fiers et solidaires, et ils aiment voir leur culture et leurs traditions partagées avec d’autres pays », dit-elle.
« Nous avons été félicités par le président et le ministre de la Culture qui ont dit que le film était pour eux un honneur ».