Gérald Darmanin, le responsable du ministère de l’Intérieur, soutient que l’individu principalement suspecté dans l’acte terroriste survenu à Arras, ne pouvait pas être renvoyé hors du pays. Toutefois, cette affirmation est contestée par plusieurs figures politiques, issues tant de la gauche, que de la droite ou de l’extrême droite.
Suite à la mort tragique du professeur de littérature Dominique Bernard à Arras le vendredi 13 octobre à cause d’un attentat, l’attention s’est rapidement tournée vers l’individu principal suspecté. Mohammed M., un Tchétchène et ressortissant russe, noté sur la liste S et activement surveillé depuis juillet, se trouvait illégalement sur le territoire français. Est-ce qu’il aurait pu être renvoyé dans son pays d’origine ?
Gérald Darmanin face aux critiques de ses adversaires politiques
Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur, a répondu aux critiques l’accusant de laxisme en affirmant que l’individu « ne pouvait être expulsé, quelles que soient les circonstances » dès le lendemain de l’attentat. Lors d’une conférence de presse, il a expliqué que « à cause de la loi, le ministre de l’Intérieur ne peut pas renvoyer un étranger qui est arrivé sur le territoire national avant l’âge de 13 ans chez lui ». Il a encore réitéré cette assertion sur la chaîne Cnews, le lundi 16 octobre.
Interrogé sur l’attaque au couteau à Arras, Gérald Darmanin déclare : « À ma connaissance, il n’y a pas eu de défaillance des services de renseignements ». pic.twitter.com/E5n2bXfSsW
— BFMTV (@BFMTV) 14 octobre 2023
Néanmoins, plusieures figures politiques, tels que le president du Rassemblement national Jordan Bardella qui s’exprimait lundi sur France Inter, soutiennent l’exact inverse. « Si vous êtes arrivés sur le territoire français, même avant l’âge de 13 ans, et que vous portez atteinte à la sécurité de l’État, que vous avez un casier judiciaire chargé et que vous menacez la cohésion nationale, vous pouvez être expulsés », a-t-il insisté.
Le président Les Républicains de la région Hauts-de-France, Xavier Bertrand, a exprimé une opinion similaire sur l’émission 8h30 de 42mag.fr de lundi, tout comme l’ancien président socialiste François Hollande sur RTL et Marion Maréchal, candidate Reconquête aux élections européennes, sur X. Alors, qui dit la vérité ?
Non, la loi ne bloquait pas l’expulsion de l’assaillant d’Arras
Franceinfo a demandé à plusieurs juristes et avocats si, du point de vue juridique, l’assaillant responsable de l’attentat à Arras aurait pu être expulsé. Ils ont tous répondu que oui, c’était effectivement possible, en dépit de ce qu’a dit Gérald Darmanin. L’attaquant d’Arras « aurait pu être renvoyé », même s’il était arrivé en France à cinq ans, même sans condamnation ni casier judiciaire, a déclaré Serge Slama, professeur de droit public, de l’université Grenoble-Alpes, à 42mag.fr. Mohammed M. n’aurait certainement pas pu être sujet à une Obligation de Quitter le Territoire Français (OQTF) comme il est arrivé en France trop jeune, mais il aurait pu être expulsé par une autre méthode.
Le spécialiste de la législation des migrants cite l’article 631-3 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, appelé aussi le Ceseda. Cet article liste les étrangers qui sont les plus protégés par la loi en ce qui concerne les expulsions, et ceux qui sont arrivés en France avant l’âge de 13 ans y figurent bien. Cependant, l’article énonce que, même pour les étrangers les plus protégés, une expulsion peut se produire « dans des cas de conduite menaçant les intérêts fondamentaux de l’État, ou liés à des activités terroristes, ou représentant des actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, la haine ou la violence envers une personne ou un groupe de personnes spécifique ».
De ce point de vue juridique, l’assaillant d’Arras, qui est arrivé en France à seulement cinq ans, aurait donc pu être expulsé par un ordre d’expulsion préfectoral ou ministériel ordinaire, ou même un ordre d’expulsion en urgence absolue, sous certaines conditions.
Mais était-ce faisable en pratique ?
Cependant, nous devons également tenir compte de la réalité pratique des choses. Mohammed M. ne fut surveillé qu’à partir de juillet et inscrit sur la liste S récemment, cela signifie que les autorités n’avaient qu’un court laps de temps pour envisager une éventuelle expulsion, bien que ce temps était suffisant pour entreprendre une procédure d’expulsion en urgence absolue. Cette procédure est généralement réservée à « un petit nombre de personnes montrant des signes de dangerosité très élevée », selon Serge Slama, ce qui dépend donc des informations dont dispose les autorités. Et c’est au coeur de la question : les autorités avaient-elles suffisamment d’informations pour savoir que le suspect passerait à l’acte ? Le ministre de l’Intérieur a déclaré que non le mardi 17 octobre sur RTL.
Il est à noter que la loi ne précise pas clairement ce que sont les « comportements susceptibles de porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l’État ou liés à des activités terroristes ». En d’autres termes : le fait d’avoir un frère condamné pour préparation de terrorisme justifiait-il son renvoi ? Ou ce qui a été signalé de Mohammed M. par ses professeurs était-il suffisant ? C’est un débat de droit administratif qui n’a jamais eu lieu.
Mais Amine Elbahi, un enseignant de droit à l’Université de Lille et opposant actif contre la montée de l’islamisme à Roubaix, estime que les raisons pour lesquelles le suspect a été pouvaient suffire pour au moins tenter de l’expulser. Il mentionne le cas de l’imam Hassan Iquouissen qui fut renvoyé grâce à cet article 631-3 du Ceseda pour avoir simplement tenu des propos haineux et discriminatoires. Un avocat expert de droit des étrangers interrogé par 42mag.fr est du même avis.
Le deuxième principe important à prendre en compte ici est celui des conditions d’accueil dans le pays d’origine. Mohammed M. est originaire de Russie et depuis le début de la guerre en Ukraine, il est difficile de renvoyer des personnes dans ce pays.