Chaque semaine, nous avons droit aux éclairages de Clément Viktorovitch sur les polémiques et les défis politiques du moment. Pour ce Dimanche 15 octobre, l’ordre du jour était le projet de loi dit « plein emploi », qui a été approuvé récemment à la Chambre des députés. Il a particulièrement mis l’accent sur l’un de ses aspects les plus marquants : la refonte du RSA.
La réalité a rattrapé l’engagement pris par Emmanuel Macron en 2022 : la loi « Plein emploi » met désormais la distribution du RSA, ou Revenu de Solidarité Active, sous condition de prestation de 15 heures d’activité par semaine. Étrangement, le gouvernement n’était pas en faveur d’inscrire cette promesse en lettre de loi. Olivier Dussopt, Ministre du Travail, n’a cédé que sous l’insistance du groupe Les Républicains, qui avait fait de cette condition une nécessité absolue pour leur soutien au texte.
Il ne s’agit pas d’exiger 15 heures de travail, mais bel et bien 15 heures « d’activité ». Le gouvernement tire ses arguments d’un rapport de la Cour des Comptes publié en janvier 2022, selon lequel le RSA n’encourage pas assez l’emploi. Les statistiques sont effectivement préoccupantes : 35 % des bénéficiaires touchent le RSA depuis plus de cinq ans, et 15 % depuis plus de dix ans. L’idée derrière la réforme est de ramener ces personnes vers le marché du travail en leur proposant des heures d’accompagnement personnalisé, de formation, ou d’immersion professionnelle. Il convient de noter que certains bénéficiaires du RSA, dans certaines situations bien précises, en sont exemptés.
« Rétrogression sociale sévère »
La recommandation de la Cour des Comptes est une meilleure assistance pour les bénéficiaires du RSA, souvent livrés à eux-mêmes. Cependant, l’obligation de ces 15 heures d’activité pose problème. D’un point de vue pratique, de nombreux bénéficiaires ne peuvent pas satisfaire à cette exigence : ceux qui s’occupent d’un proche dépendant, ont à charge une grande famille, ou tout simplement ne disposent pas de moyen de transport. Ces personnes s’exposent à des sanctions, sans pouvoir y remédier.
C’est une transformation majeure qu’il faut analyser avec précaution. Rappelons que ces heures d’activité peuvent être réalisées dans le cadre d’une entreprise. Or, le principe fondateur du RSA était de faciliter le retour à l’emploi en permettant de cumuler l’allocation avec quelques heures de travail rémunéré. Pas de créer une source de travail bénévole. Martin Hirsch, l’un des pères du RSA, a clairement dénoncé cette évolution lors d’un entretien avec 42mag.fr, parlant d’une « sérieuse régression sociale« .
Et plus largement, notre système de protection sociale repose un principe fondamental, inscrit dans notre Constitution : « Toute personne qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, est dans l’incapacité de travailler, a le droit à une aide suffisante de la société ». Comme le souligne la défenseure des droits, Claire Hédon, ce n’est ni de la charité, ni une récompense. C’est une responsabilité de solidarité qui incombe à la nation et qui devrait être inconditionnelle. Il est impensable de laisser un individu sans ressources sur notre territoire.
« Aucun droit sans obligation »
C’est le bel adage utilisé par le gouvernement pour dissimuler une rupture majeure de notre politique sociale. En 1988, lorsque François Mitterrand instaure le RMI, le précurseur du RSA, il écrit : « L’essentiel est de garantir un moyen de vivre, ou plutôt de survie, à ceux qui n’ont rien. C’est la condition de leur réinsertion sociale ». Le but du RMI n’était pas d’aider les individus en échange d’une activité : c’était de comprendre que leur assistance est une étape préliminaire à toute reprise d’une activité. Cette intuition initiale a par la suite été confirmée par les travaux d’Esther Duflo, économiste française lauréate du prix Nobel d’économie, qui a démontré que plus on aide les individus les plus défavorisés, plus ils réussissent à s’affranchir des « pièges de pauvreté ».
La raison de ce revirement réside dans un discours récurrent depuis quinze ans visant à lutter contre la dépendance à l’aide sociale. Un discours entièrement basé sur des idées reçues. Selon Esther Duflo, aucune étude crédible ne validates l’idée que l’assistance aux personnes en difficulté les mène à l’inaction et à l’exploitation du système.
En revanche, ce qui est certain, c’est que plus le processus pour obtenir une aide est complexe, plus nombreux sont ceux qui y renoncent. Le rapport de la Cour des Comptes révèle qu’une personne sur trois renonce déjà à demander le RSA. Selon moi, c’est le véritable drame. En conditionnant le RSA à des heures d’activité, cette réforme ne fait pas que pervertir la signification même du terme solidarité. Elle risque de produire l’effet inverse de celui recherché : précipiter encore plus d’individus dans la précarité extrême.