Chaque semaine, Clément Viktorovitch fait le point sur les discussions et les défis politiques. Le dimanche 12 novembre a marqué le commencement de la revue par le Sénat du projet de loi concernant l’immigration. Ce dernier inclut notamment parmi ses propositions clés la légalisation des immigrés sans documents officiels qui exercent une activité dans les secteurs professionnels « sous pression ».
La clause de la loi sur l’immigration qui prévoit l’octroi d’un titre de séjour aux travailleurs sans-papiers exerçant dans les secteurs où la main-d’œuvre est rare suscite des débats houleux. Les députés du parti Les Républicains ne sont pas prêts à voter pour cette proposition qui constitue, pour eux, une barrière infranchissable. La cheffe du gouvernement qui a besoin de leur appui pour éviter un nouveau 49-3 risque donc de rencontrer des difficultés lors des négociations.
Un des arguments récurrents invoqués par les opposants à cette mesure, y compris les élus Les Républicains et le Rassemblement National, est que régulariser les immigrés sans papiers qui travaillent déjà sur le sol français pourrait provoquer un afflux d’autres migrants et inciter davantage de personnes à entrer illégalement dans le pays. Cette notion largement répétée est souvent qualifiée de « phénomène d’appel d’air » et parfois d' »effet d’aspiration ».
Pas d’augmentation notable des migrations
Diverses études conduites dans le champ de la science politique ont examiné cette hypothèse. Nous pouvons citer une recherche de poids effectuée par Joan Monras, Elias Ferran et Javier Vazquez-Grenno, publiée en décembre 2020 et actualisée en avril 2023, qui s’appuie sur les données les plus récentes. Ce travail étudie la décision prise par l’Espagne en 2005 de régulariser 600 000 exilés hors UE. Près de deux décennies plus tard, aucun accroissement notable des flux migratoires n’a été observé suite à cette action. La situation a été la même aux États-Unis en 1986, lorsque l’Immigration Reform and Control Act a permis à trois millions d’immigrés de régulariser leur situation. Toutes les recherches ont démontré que cette résolution n’a pas engendré une hausse de l’immigration.
De manière générale, aucune étude n’a jamais démontré l’existence d’un hypothétique « appel d’air » suite à une campagne de régularisation. Il faut aussi préciser la nature exacte de la mesure proposée par le gouvernement. Les personnes concernées doivent justifier d’une présence de trois ans sur le territoire français et avoir travaillé au moins huit mois au cours des deux années précédentes dans une profession en manque de main-d’œuvre, pour obtenir un titre de séjour renouvelable tous les ans. Ce n’est en aucun cas une régularisation massive.
Les résistances à cette mesure évoquent également un risque économique. Mais là encore, cette question a trouvé une réponse. Un important travail de synthèse a été effectué par Hélène Thiollet et Florian Oswald pour Sciences Po. Il a été observé que les emplois les moins qualifiés pourraient subir, à court terme, une pression à la baisse des salaires en raison de l’immigration, mais cela n’est ni systématique ni durable. Sur l’ensemble de l’économie, l’immigration a un impact neutre ou positif. Les campagnes de régularisation sont avantageuses pour les finances publiques car elles entraînent un surplus de cotisations patronales pour l’Etat. De plus, elles permettent de sortir de la précarité des travailleurs qui participent activement à la vie de notre société, contribuent aux impôts et sont intégrés.
Peur et illusion
Le dilemme principal des débats sur l’immigration est que certaines affirmations ne sont pas soutenues par les faits ou les preuves, mais se basent sur la peur et les illusions. On pourrait évoquer l’exemple de l’aide médicale d’Etat (AME) pour les immigrés sans papiers, dont le Sénat a également voté la suppression, affirmant qu’elle provoquerait la même attraction. Toutefois, nous savons que le véritable problème de l’AME est que la majorité des personnes qui y ont droit ne la sollicitent pas. En effet, selon le dernier rapport de Médecins Du Monde, plus de 80% des bénéficiaires potentiels de l’AME n’en font pas usage. Les conséquences sont dramatiques pour ces individus qui finissent par cumuler de graves retards de soins. Cela a aussi des retombées négatives pour notre système de santé et les finances publiques car, comme l’ont rappelé de nombreux docteurs, il est préférable de prendre en charge les problèmes médicaux le plus tôt possible.
Récemment, le gouvernement a tendance à céder à ces arguments, aussi discutables soient-ils. Le président Macron a déjà réduit l’accès à l’AME en 2019, en exigeant une présence de trois mois sur le territoire de ceux qui en bénéficient, en dépit de l’avis des professionnels de la santé. Le texte qui émergera des débats parlementaires reste à voir. Cependant, si l’on se base sur le déroulement préliminaire des discussions, on peut craindre que les passions prévalent sur le bon sens.