Chaque semaine, Clément Viktorovitch fait une rétrospective des discussions et des problématiques politiques. Le dimanche 26 novembre a été marqué par l’assomption de Javier Milei à la tête de l’Argentine et le triomphe de Geert Wilders au Pays-Bas. Ces deux individus se présentent comme étant des agents de changement vis-à-vis du « système ».
Javier Milei en Argentine, Geert Wilders aux Pays-Bas, tout comme Donald Trump aux États-Unis et Jair Bolsonaro au Brésil… L’accroissement incontesté des attitudes qualifiées de « antisystèmes » est un phénomène marquant des temps récents à travers le monde. Ce terme est souvent difficile à définir de façon précise et pourrait avoir été avancé par les candidats eux-mêmes, comme dans le cas de Javier Milei. Dans d’autres circonstances, cette appellation semble surgir dans le discours des commentateurs de l’actualité, sans que les personnalités politiques l’aient nécessairement employée.
En politique scientifique, une définition largement répandue, née dans les années 1960, la place à l’actif de l’érudit italien Giovanni Sartori. Selon cette définition, les partis antisystèmes sont ceux qui remettent en question la légitimité du système politique dans lequel ils opèrent. Toutefois, cette définition ne semble pas correspondre parfaitement aux partis dont nous discutons actuellement, qui ne cherchent pas à renverser les régimes politiques, mais plutôt à acquérir et à exercer le pouvoir. De nos jours, être « antisystème » a une autre signification. Ce n’est plus une proposition politique. C’est plutôt une posture rhétorique.
Ces politiciens partagent un thème commun : l’idée que le candidat s’oppose à une petite élite qui contrôle l’ensemble de la politique, de l’économie et des médias, et qui aurait pris le pouvoir des mains du peuple pour emprisonner le débat public par le biais d’un discours dominant, voire dogmatique.
La stratégie et le positionnement antisystème
D’un point de vue stratégique, comme l’observe l’érudite Lucie Raymond, ce positionnement permet d’unir les frustrations de la population en soulignant un coupable aussi vague qu’angoissant. Le hic, c’est qu’une fois définie de cette façon, la rhétorique antisystème n’est en rien circonscrite aux candidats que l’on qualifie souvent d’antisystème…
En France, on retrouve indéniablement cette rhétorique dans le discours du Front national, puis du Rassemblement national. On peut aussi en trouver des traces chez Jean-Luc Mélenchon, ainsi que chez Nicolas Sarkozy, en 2016, pendant sa campagne pour la primaire des Républicains ou même chez Emmanuel Macron, lorsqu’il a lancé sa candidature en juillet 2016 à la Mutualité.
Mais si tout le monde est antisystème, le terme perd alors son sens. Prenons l’exemple de l’incarnation parfaite de la politique antisystème : Donald Trump. Un tycoon de l’immobilier, star de la télévision, qui a fréquenté toute sa vie les cercles de pouvoir économique, politique et médiatique. S’il existe un système, il en fait indubitablement partie ! C’est une pure posture. Une technique pour regrouper tous ses rivaux derrière un terme effrayant, « le système », pour prétendre être le seul à représenter le peuple.
Un bouclier pour détourner ses responsabilités
Le hic, c’est que cette rhétorique a des conséquences politiques. Elle agit comme une protection injuste, qui transforme les échecs en avantages. Quand ces candidats font face à des affaires, celles-ci, au lieu d’être envisagées comme une preuve de leur injustice, deviennent plutôt la preuve ultime qu’ils gênent le système ! On le voit bien, en ce moment, avec Donald Trump, dont ses nombreuses inculpations n’entravent guère sa campagne présidentielle. Au contraire : elles renforcent son discours, selon lequel il serait la victime de « l’establishment » américain. En France, l’exemple de François Fillon est parlant. Il avait évoqué un supposé « cabinet noir » qui aurait été à l’origine de l’affaire Pénélope. Cette rhétorique ne permet pas simplement de manipuler la colère des citoyens – une colère parfois légitime d’ailleurs. Elle offre aussi, aux responsables politiques, un abri plutôt commode pour tenter d’échapper à leurs responsabilités.
Peut-être devrions-nous donc faire preuve de plus de prudence lorsque nous employons ce qualificatif sans vraiment le remettre en question. Quant aux responsables politiques qui se nichent derrière cette rhétorique, y compris en France, ils devraient sérieusement réfléchir aux émotions qu’ils suscitent et aux discours qu’ils avalisent.