Les mises à jour du samedi sont effectuées sous l’œil aguerri de l’historien Fabrice d’Almeida. Il contextualisera les nouvelles de la semaine, le samedi 18 novembre en particulier, où l’attention sera portée sur les cas traités par la Cour de justice de la République.
Le procès visant Éric Dupond-Moretti, notre ministre de la Justice, auprès de la Cour de justice de la République, vient de mener à son terme ses audiences. Nous attendons désormais la proclamation du jugement. L’accusation portée contre ce dernier est loin d’être un événement exceptionnel. Depuis l’instauration de cette institution judiciaire spécialisée en 1993, huit ministres, deux secrétaires d’État, y compris deux Chefs de gouvernement, Laurent Fabius et Édouard Balladur, ont été la cible de poursuites.
Laurent Fabius a été incriminé dans l’affaire dite du sang contaminé. Ce scandale a profondément ébranlé notre pays car, en 1985, des hémophiles ont été exposés à une transfusion avec du sang non dépisté et infecté par le virus du Sida, alors que des alternatives plus sûres, mais plus onéreuses, étaient disponibles sur le marché. Accusés d’empoisonnement, Laurent Fabius, premier ministre de l’époque, secrétaire d’État à la Santé Edmond Hervé et la ministre des Affaires sociales Georgina Dufoix.
Cette cour a été mise en place spécifiquement pour juger cette polémique dans laquelle des responsables politiques ont été mis en cause pour des décisions prises dans le cadre de leurs responsabilités professionnelles. Ont-ils réellement la faute sur leur conscience alors que ce sont des médecins qui ont conseillé toutes les décisions et qui étaient techniquement compétents ? Georgina Dufoix avait partagé cette opinion, prêtée à l’avocat d’un autre inculpé, dans une interview avec une phrase qui est devenue célèbre : « Responsable mais pas coupable ».
L’affaire a finalement conduit à l’acquittement de Fabius et Dufoix. Admis coupable, Edmond Hervé a été condamné mais exempté de peine, pour « manquement à une obligation de sécurité et de prudence ».
Déboires politiques et délinquance économique
Parlons également du cas de Ségolène Royal qui a été accusée en diffamation par des enseignants sur des enjeux liés au bizutage. Elle a été acquittée en 2000. Dans l’affaire dite de Karachi, l’ancien Premier ministre Édouard Balladur est impliqué pour des rétrocommissions dans une transaction de frégates finançant sa campagne pour l’élection présidentielle de 1995. Il est relaxé tandis que son ministre de la Défense, François Léotard, reçoit une condamnation assortie d’un sursis et d’une amende.
En 2004, Michel Gillibert, secrétaire d’État aux Handicapés, est condamné à cinq ans d’inéligibilité, trois ans de prison avec sursis et une amende pour un détournement de quelques 8,5 millions d’euros.
On peut également mentionner Jean-Jacques Urvoas, qui a été poursuivi en 2019 pour violation du secret professionnel en faveur du député Thierry Solère. Autre exemple, celui de Christine Lagarde, ancienne ministre de l’Économie, actuellement à la tête de la Banque centrale européenne, impliquée en 2016 pour l’arbitrage en faveur de Bernard Tapie dans l’interminable affaire du Crédit Lyonnais. Elle s’est défendue avec vigueur alors qu’elle préparait sa candidature à la direction du FMI.
Une autre plainte qui vise Edouard Philippe, Olivier Véran et Agnès Buzyn pour leur gestion de la pandémie du Covid-19 est actuellement examinée. Cependant, ils ne sont pas officiellement accusés, car il est difficile de juger a posteriori des décisions complexes de santé publique.
Le cas spécifique de Raoul Péret
Il est complexe de faire une comparaison de nos procès récents avec les grandes poursuites politiques émanant de l’après-guerre ou du XIXe siècle. Toutefois, on peut évoquer le cas de Raoul Péret dans les années 1930. En 1931, ce ministre de la Justice largement ignoré aujourd’hui a été accusé et jugé par le Sénat transformé en haute cour. Il s’est rendu coupable de retarder l’inculpation du banquier Oustric. Quelques semaines plus tard, Oustric se retrouvait en faillite, provoquant la ruine de petits investisseurs. L’ingérence de Péret dans la procédure était un véritable scandale. Pourtant, le Sénat ne l’a pas condamné et s’est contenté d’une réprimande.
En conclusion, il est clair que les ministres ne sont pas hors la loi. Cette pratique remonte à loin. Malgré les critiques et les limites qu’on peut souligner, la Cour de justice de la République remplit un rôle indispensable.