Au sein des paysages qui ont marqué son enfance, de la commune d’Hallencourt jusqu’à Amiens, l’auteur revisite sa « métamorphose » à travers un documentaire touchant et instructif à propos de son travail d’écriture, ainsi que de ses pensées sociologiques.
Presque une décennie après la sortie de son autobiographie En finir avec Eddy Bellegueule (Seuil, 2014), que l’écrivain Édouard Louis, âgé alors de 22 ans, avait écrit, il revient sur son parcours dans Édouard ou la transformation, un documentaire qui retrace sa vie, réalisé par François Caillat, projeté pour la première fois le 29 novembre.
Dans son livre, En finir avec Eddy Bellegueule, Édouard Louis racontait sa vie d’enfant marginal dans un village de Picardie, une vie marquée par la violence et l’homophobie. Cette fois-ci, à travers ce documentaire, c’est sa voix que l’on entend, remontant le passé. Il raconte ses premières années à Hallencourt, un village de la Somme où il a grandi, dont on ne voit que le clocher, pour illustrer la douleur qu’il a vécue. Puis, il évoque Amiens, la ville qui a activé son émancipation. La caméra suit l’écrivain, comme un pèlerinage, dans son parcours, en revenant sur son histoire et les différentes phases de ce qu’il nomme « sa réinvention ».
« Chaque jour, je souhaitais être une autre personne »
L’auteur évoque son adolescence, l’internat qu’il fréquentait, le terrain de football où il n’y jouait pas. La cantine, où il ne mangeait presque rien, car pour sa famille, « les légumes, c’étaient un truc de filles ». Il évitait aussi le poisson, car son père, pêcheur le dimanche, lui en avait souvent servi pendant son enfance, au point qu’il en a développé une « phobie sociologique du poisson ».
À l’internat, une de ses amies lui apprend à se comporter correctement à table. « Pour elle, c’etait un jeu, pour moi, cela engageait tout mon être, toute ma vie et toutes les difficultés que j’avais à me transformer », se rappelle-t-il. Il décrit son malaise, sa déconnexion avec ses camarades de classe issus d’un milieu bourgeois, plus instruit, plus « distingué », et les efforts qu’il fait pour « imiter une vie » dans l’espoir de devenir quelqu’un.
C’est dans ce lycée d’Amiens qu’il découvre le théâtre qui a été pour lui une révélation. Cette discipline qui l’encourage à jouer, à être quelqu’un d’autre. « Depuis toujours, je rêvais de ne pas être moi. C’était une obsession. Pour moi, c’était terrible d’être moi. Chaque jour, je voulais être une autre personne », assure l’écrivain, souffrant dans son internat, entouré de garçons qui ne parlaient que de sport, parlant de façon déplaisante des filles, alors qu’il essayait de cacher son homosexualité, son secret de toujours qu’il craignait énormément de révéler.
« Ça a tout changé »
Édouard Louis discute de la corpulence, des impositions sur la virilité, sur le fait d’être « un homme fort » dans sa famille modeste. L’écrivain aborde également la honte, sous ses différentes formes, omniprésente, douloureuse, qui a toutefois joué un rôle dans sa transformation. Il raconte aussi l’impact qu’a eu la lecture de Retour à Reims (Fayard, 2009), qu’il a découvert lors d’une conférence de Didier Eribon. Il raconte: « Ç’a été un choc très violent. Ç’a tout changé ». À partir de là, il a acheté les livres de Bourdieu, Foucault, Derrida, Hannah Harendt, Annie Ernaux… Il ne va plus s’appeler Eddy Bellegueule, il va choisir un nouveau nom. « Eddy Bellegueule, ce n’était pas moi, c’était ce que je n’ai jamais réussi à être. Pour moi Édouard Louis, c’était le nom de la liberté, le nom de la transformation. » Il rêve désormais d’un horizon plus large. Il sera écrivain.
Une mise en scène subtile
Grâce à son retour sur les lieux de son enfance, le réalisateur réussit à faire émerger une parole spontanée et libre, mais qui est toujours accompagnée d’un discours structuré d’Édouard Louis. Le documentaire est principalement composé d’images de l’écrivain tournées dans les scènes de son enfance et son adolescence. On le suit de près lorsqu’il marche, s’arrête, observe, court à certains moments ou danse.
Ces images sont entrecroisées avec des images d’archives, de rares photos de son enfance, des extraits d’émissions de télévision, des extraits de pièces de théâtre où ses textes sont mis en scène, ou encore des séquences le filmant lorsqu’il lit son récit devant un micro, un casque sur la tête, pendant que des images défilent sur un écran.
La mise en scène, d’une sobriété salutaire, permet d’écouter une voix et de permettre à ce récit intime, fragile, complexe, de prendre vie. Édouard Louis analyse le processus qui a conduit à sa métamorphose. En partant de sa propre expérience, des petits détails apparemment insignifiants qui ont jalonné sa vie, il dessine un destin partagé par tous les « transfuges » de tous bords, et souligne l’importance de raconter cette expérience, et les vertus de l’autobiographie. « Chaque fois que l’on dit ‘je change’, on donne la possibilité à d’autres de dire ‘je veux changer’« . Voilà (au moins) une bonne raison de voir ce documentaire bouleversant de sincérité, éclairant sur les mécanismes du déterminisme social, et l’énergie et le courage qu’il faut déployer pour s’en libérer.
En avril, l’écrivain publiera son sixième roman, L’Effondrement (Éditions du Seuil), qui raconte l’histoire de son frère aîné, décédé à 38 ans après des années d’addiction à l’alcool et aux jeux d’argent.
Les Détails
Genre : Documentaire
Réalisateur : François Caillat
Acteurs : Édouard Louis
Pays : France
Durée : 1h12
Sortie : 29 novembre 2023
Distributeur : Outplay Films
Synopsis : Ce documentaire retrace la transformation d’un garçon issu d’un milieu sous-prolétaire de Picardie en une figure emblématique de la vie culturelle française. Édouard Louis, devenu en quelques années un écrivain influent de sa génération, nous encourage à faire de la transformation constante un nouveau mode de vie.