Chaque semaine, Clément Viktorovitch propose un regard sur les discussions et les défis de la politique. Le dimanche 19 novembre, il s’est penché sur les « Rencontres de Saint-Denis ». Organisée le vendredi précédent, cette réunion a convié les responsables de plusieurs partis politiques pour échanger avec Emmanuel Macron.
Nous allons débuter par une petite séquence historique. En 1965, le général de Gaulle, président de la République française à cette époque, entre en désaccord avec la Commission européenne. Il était contre un ensemble de projets de réforme visant à renforcer l’intégration supra-nationale de la Communauté Economique Européenne, au détriment des États-nations. Suite à ce désaccord, le général de Gaulle choisit de ne plus participer aux instances européennes. À cette époque, le vote à l’unanimité était nécessaire, ainsi l’absence de la France paralysait le processus décisionnel européen. Le bras de fer se termine après une durée de six mois, avec une victoire pour de Gaulle.
De là est née la « politique de la chaise vide », qui consiste à s’abstenir de participer à un événement afin de bloquer toute prise de décision ou, a minima, de remettre en question sa légitimité.
Aujourd’hui, cette stratégie de la « chaise vide » se retrouve au cœur des débats lors des rencontres de Saint-Denis. Les raisons diffèrent cependant. Le Parti socialiste et la France insoumise font savoir qu’ils ne souhaitent pas cautionner une réunion où l’élargissement du référendum aux enjeux de société est débattu. Les questions d’immigration sont d’ailleurs mentionnées explicitement. Pour ce qui est d’Eric Ciotti, il a déclaré son absence en raison du non-participation d’Emmanuel Macron à la marche contre l’antisémitisme. On peut également formuler l’hypothèse que le leader des Républicains cherchait juste une occasion pour réaffirmer son opposition, alors que les sénateurs LR viennent d’adopter la loi immigration du gouvernement.
Le Parlement : une institution légitime et constitutionnelle pour le dialogue
Il est déplorable de constater que certains responsables politiques refusent le dialogue dans une démocratie. Le véritable enjeu cependant, réside dans le cadre où ce dialogue a lieu. Si l’intention est de permettre aux différents partis politiques de confronter leurs idées, afin de trouver des points d’accord et de construire des compromis qui peuvent être adoptés par une majorité trans-partisane. Un endroit parfait pour cela existe déjà : le Parlement ! C’était d’ailleurs la promesse du gouvernement d’Elisabeth Borne : offrir une « nouvelle méthode » pour former des majorités à l’Assemblée. Nous avons clairement constaté comment cette méthode a fonctionné : les textes conflictuels ont été adoptés sans vote, et parfois même sans discussion, grâce à l’article 49.3.
Le gouvernement avance que l’obstruction est à l’origine de la situation, cependant c’est un sujet de la poule ou de l’œuf : est-ce à cause de l’obstruction qu’il n’y a pas eu de véritable délibération ? Ou bien parce que le gouvernement n’a pas voulu céder du terrain ?
Ce qui me semble être le plus problématique, c’est que le président de la République crée continuellement de nouvelles institutions, centrées sur lui-même, pour satisfaire ses besoins politiques du moment. Actuellement, c’est le format « Saint-Denis ». Mais hier, c’était le Conseil national de la Refondation ; pendant la crise du Covid, le Conseil de défense sanitaire ; pendant la crise des « gilets jaunes », le Grand débat national… Toutes ces créations spontanées et éphémères, non seulement n’influencent pas les décisions du gouvernement, mais marginalisent ce qui devrait être le lieu principal de la délibération démocratique : les assemblées parlementaires.
Déséquilibre institutionnel
La Constitution de la Ve République, créée par le général de Gaulle, n’envisageait pas que le président de la République discute directement de la politique nationale avec les dirigeants des partis politiques, dans la confidentialité d’une salle de réunion ! L’Article 20, lui donne le rôle de première ministre, dans un contexte officiel et transparent: celui du Parlement.
Ceci n’est pas sans conséquence. La Ve République est déjà parmi les démocraties qui accordent le plus de pouvoir au président et le moins au Parlement. Avec son format « Saint-Denis », Emmanuel Macron aggrave encore plus ce déséquilibre, à son avantage, et au détriment de la Constitution. Si le général de Gaulle était encore en vie, il aurait probablement considéré cela comme une raison suffisante pour adopter… la politique de la chaise vide.