Le nombre d’actes de violence perpétrés par l’extrême droite radicale augmente significativement suite à plusieurs incidents isolés. D’après Emmanuel Casajus, chercheur en sociologie et expert dans le domaine de l’extrême droite radicale, la nouvelle vague de militants se distingue par une organisation plus structurée et une motivation plus prononcée.
Depuis l’assassinat de Lola, jusqu’au décès de Thomas à Crépol (Drôme), les groupes d’extrême droite se saisissent des événements tragiques avec une violence qui « s’affirme de plus en plus », et ce, due à une nouvelle vague de militants qui n’hésitent pas à prendre des « risques judiciaires », explique Emmanuel Casajus. Ce spécialiste de l’extrême droite est docteur en sociologie au Laboratoire du changement social et politique à Paris. Il est l’auteur de Style et violence dans l’extrême droite radicale (Editions du Cerf).
franceinfo : Les tactiques de ces groupes ont-elles évolué ?
Emmanuel Casajus :
Ce mode d’opération et cette aptitude à manifester un peu partout en France sont assez nouveaux. Selon moi, cela a commencé avec l’affaire Lola, il y a un peu plus d’un an. Par la suite, leur compétence s’est manifestée de manière plus évidente à Saint-Brevin [où des membres d’extrême droite ont incendié la maison du maire en mars], avec une violence assez tolérée et qui n’a pas suscité d’indignation proportionnelle. C’est un phénomène assez inédit qui se renforce progressivement, avec une volonté d’agir très rapidement et dans tous les lieux, et une capacité de plus en plus marquée à réaliser cela. Je pense aussi, par exemple, à Annecy, avec le rassemblement qui avait eu lieu le lendemain de l’attaque dans l’aire de jeux pour enfants ou encore lors des manifestations pour Nahel. Là, ils ont rencontré quelques difficultés à se mobiliser, mais ils ont réussi à le faire à plusieurs endroits, grâce à un savoir-faire développé au fil des années. En 2015-2016, l’Action française organisait des déplacements de militants de Paris à Marseille pour défendre leur local. Mais à cette époque, ils avaient du mal à remplir les voitures, et c’étaient principalement des militants nationalistes révolutionnaires qui populaient, voire orchestraient, ces navettes.
Comment expliquer cette amélioration de leur capacité de mobilisation ?
Je crois que cela est dû à une question de confiance, incarnée par une nouvelle génération qui s’inspire des comportements issus du monde du sport, avec notamment les supporters qui se déplacent d’une ville à l’autre pour soutenir leurs équipes. Je ne suis pas sûr que les militants soient plus nombreux, mais ils sont plus engagés, avec une volonté de placer la politique en première ligne dans leur vie et de prendre des risques, que ce soit sur le plan professionnel ou judiciaire, de manière plus prononcée que la génération de militants précédente. Ils sont mieux organisés et plus motivés, notamment grâce à l’application de messagerie Telegram qui leur permet de planifier des actions.
Leur violence est-elle davantage assumée ?
Il y a une évolution dans le rapport à la violence de rue, mais également par rapport à la violence terroriste. Lorsque j’ai effectué une enquête de terrain en 2015-2016, la violence terroriste était assez critiquée par les acteurs de ce milieu. Une expression qui revenait, c’était « gogol à la Breivik » [du nom du terroriste norvégien d’extrême droite], c’est-à-dire un homme seul, prenant des armes et agissant de manière irraisonnée. Les militants indiquaient : « Nous, on n’a rien à voir avec ce genre de personne. On est des militants, on distribue des tracts ». J’ai l’impression que ce dédain pour ce type d’actes a totalement disparu et qu’aujourd’hui, c’est même plutôt l’inverse. Ce sont des figures mises sur un piédestal, presque déifiées. Il y a comme un changement dans le rapport à la violence de la société en général, car la condamnation semble moins rapide et moins puissante. Les normes sociales concernant la violence d’extrême droite ont évolué, y compris au sein de l’extrême droite et de sa frange radicale.