Les deux artistes du groupe de hip-hop La Rumeur font leur retour dans le monde du cinéma et de la réalisation avec le charmant récit urbain « Rue des dames ». Une nouvelle fois, ils capturent leur Paris clandestin, habituellement nocturne et plein d’ingéniosité. Discussion à suivre.
Le lieu de rencontre, comme souvent, se trouve dans leurs bureaux de la rue Caulaincourt, dans les quartiers du 18e arrondissement parisien. Mohamed « Hamé » Bourokba et Ekoué Labitey, du groupe La Rumeur, sans oublier Philippe, leur troisième complice, se trouvent dans la pièce d’à côté.
Le sujet principal de leur conversation tourne souvent autour du film qu’ils ont produit. Cette production semble refléter leur caractère, leur passion et leur engagement, malgré les défis rencontrés pour assembler et financer le film pendant la pandémie de Covid-19.
Sept ans après leur précédent succès, Les derniers parisiens, leur nouvelle histoire s’intéresse à Mia (jouée par l’excellente Garance Marillier), une jeune manucure démunie, enceinte et ingénieuse. Une pléiade de personnages hauts en couleurs gravitent autour d’elle, ajoutant à l’attrait de la production.
Franceinfo : La représentation de Paris au cinéma peut prendre plusieurs formes, allant de l’image pittoresque à la réalité brute. Mais vous semblez apprécier une représentation de la ville et de vos quartiers que l’on voit rarement…
Hamé : Oui, après avoir dépeint le quartier de Pigalle dans notre premier film, nous avons choisi de changer de lieu. Le paysage du film devient presque une représentation de l’état d’esprit de notre personnage principal. Notre rapport à Paris est similaire à une relation personnelle : il y a des moments de bonheur et des moments de déception. C’est ainsi que nous ressentons le quartier qui a nourri notre créativité musicale et cinématographique depuis plus de deux décennies.
On a finalement tendance à préférer les ambiances que vous créez au lieu de l’histoire elle-même…
Ekoué : Effectivement, parce que l’ambiance fait partie de l’histoire que nous racontons, c’est notre signature. C’est notre interprétation du récit.
Hamé : Notre manière de filmer est avant tout une manière de ressentir. Nous voulons apporter quelque chose d’authentique qui reflète notre sensibilité. C’est notre première motivation. Nous ne nous préoccupons pas de savoir comment notre manière de faire s’articule avec celle des autres. Nous ne faisons pas d’analyse du cinéma pendant que nous racontons nos histoires.
You often leave doors open in the narrative without stepping through them. It’s a way of keeping the viewer on their toes. you don’t want to weigh down the story with too much explanation?
Ekoué: C’est exactement ça, comme nous l’avons mentionné précédemment, nous voulons créér une atmosphère. C’est un choix délibéré. On puise cette force du rap, cette précarité de créer quelque chose d’unique avec seulement un stylo et une scène. Nous voulons intégrer cela à notre cinéma et que cela soit la base de tous nos débuts.
Ce qui est aussi frappant, c’est que le système D semble constamment impliquer de l’argent échangé directement de main à main. La majorité des interactions humaines que vous dépeignez ne passe par aucun intermédiaire institutionnel ou étatique : aucune banque, pas de services sociaux, juste un rôle minimal du système de santé.
Hamé : Oui, car c’est une représentation de personnes qui ne maitrisent pas les rouages de l’argent. Lorsqu’ils parviennent à mettre la main sur un peu d’argent et pensent être habiles pour l’investir, une erreur en entraine généralement une autre, avec des conséquences désastreuses. Rue des dames raconte l’histoire de ces petites gens, de ces débrouillards qui se débrouillent comme ils peuvent. Au fond, c’est une histoire de survie. Nous aimons mettre en scène ces paquets de billets usés, passant de main en main. Il y a quelque chose d’attrayant et photogénique à cela. Cet argent n’est pas thésaurisé, ce n’est pas l’argent des riches, mais celui des bricoleurs.
Vous avez l’habitude de travailler avec des acteurs de votre entourage, comme Slimane Dazi. Comment Garance Marillier a-t-elle réussi à s’intégrer à cet univers ?
Ekoué : L’art du cinéma est celui de la rencontre et de l’harmonisation. Il s’agit de créer une relation artistique entre notre microcosme et des acteurs qui viennent d’un cinéma plus « classique ». Le véritable défi est de rendre ces éléments compatibles, à tel point que les personnages semblent être des habitants ordinaires de notre quartier. Nous avons travaillé avec Garance bien avant le début du tournage afin de l’aider à s’adapter à notre univers. Le résultat final nous satisfait énormément.
Rue des dames, un film réalisé par Hamé et Ekoué, sort en salles.