Chaque semaine, Clément Viktorovitch offre son analyse sur les discussions et les défis politiques. Le dimanche 10 décembre était particulièrement consacré à la refonte de l’éducation secondaire envisagée par le ministère de l’Éducation en réponse aux performances décevantes des élèves français dans le classement international PISA. Cette réforme envisage en particulier de réintroduire la ségrégation par niveaux dans les écoles secondaires.
Pour mettre un terme à sa dégringolade dans le classement PISA, la France a besoin d’un « conflit des connaissances », croit Gabriel Attal. Celui-ci préconise plusieurs mesures telles que l’encouragement des redoublements, l’instauration d’obligation de réussir le brevet des collèges pour l’accès au lycée, une épreuve supplémentaire de mathématiques au bac, et surtout, la mise en place de groupes de niveaux en mathématiques et en français au collège.
A première vue, cette approche pourrait sembler intéressante : elle pourrait libérer le potentiel des élèves les plus brillants, qui pourraient ne plus être bridés par leurs camarades de classe, et offrir aux élèves en difficulté une chance de rattraper leur retard dans des groupes à taille plus réduite où des heures de soutien supplémentaires pourraient être offerts.
Cependant, l’idée de classes par niveau n’est pas nouvelle et a fait l’objet d’études approfondies par les chercheurs en sciences de l’éducation. Les études montrent de manière unanime que cela ne fait qu’aggraver les inégalités. Citons notamment les travaux de la sociologue française Marie Duru-Bellat. Elle démontre que bien que l’élite des élèves se trouve stimulée dans des classes par niveau, ceux qui sont en difficulté ont tendance à se décourager, qu’ils soient ou non dans des groupes à effectifs réduits. Le simple fait d’être regroupés en tant que groupe plus faible finit par convaincre ces élèves qu’ils sont défavorisés. Malgré tous les efforts des enseignants, les résultats finaux sont sans appel : tandis que les meilleurs élèves ont progressé, ceux qui sont en difficulté ont de plus en plus de lacunes à combler. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si tous les syndicats, à l’exception du SNALC, qui est très minoritaire, sont farouchement opposés à cette mesure.
Il convient également de tempérer les conclusions du classement PISA. Les recherches de Fabien Truong, sociologue de l’éducation, suggèrent que si la France peine à obtenir de bons résultats dans le classement PISA, c’est en partie dû à la massification de son système éducatif. Compte parmi ceux qui scolarisent le plus d’élèves, et ce, pendant une longue durée. C’est évidemment une bonne chose, mais cela a également pour effet de faire chuter la moyenne de la France dans le classement PISA. En outre, ce que révèle surtout l’enquête PISA, c’est que le système éducatif français est extrêmement inégalitaire. La différence entre les élèves issus de milieux privilégiés et ceux provenant de milieux moins favorisés est l’une des plus marquées au monde.
Pourtant, de nombreuses actions peuvent être entreprises pour réduire ces inégalités scolaires tout en augmentant le niveau général. La priorité devrait être le recrutement de plus d’enseignants pour réduire la taille des classes. Par ailleurs, on peut encourager l’entraide entre élèves de différents niveaux au sein d’une même classe, comme le propose le professeur en sciences de l’éducation Philippe Meirieu. Les groupes de niveaux, en revanche, risquent d’aggraver des inégalités déjà inacceptables.
Éducation à visée clientéliste ?
Il est difficile d’ignorer les considérations politiques, les classes de niveaux étant un des piliers de la droite conservatrice au cours de la dernière décennie. Cependant, une autre raison peut expliquer cette proposition. En présentant son projet de réforme, Gabriel Attal a déclaré vouloir favoriser les classes de niveaux particulièrement en faveur des Français de la classe moyenne, contribuables, qui souhaitent obtenir un retour sur leur investissement.
Cependant, l’essence d’un service public réside dans le fait que nous le finançons tous selon nos ressources et que nous l’utilisons en fonction de nos besoins. En déclarant que « les Français qui payent des impôts veulent un retour sur investissement », Gabriel Attal semble, selon moi, s’éloigner des principes de base de notre service public. Le modèle qu’il semble soutenir est celui d’une éducation clientéliste, qui privilégie les enfants de ceux qui la financent. Ce qui est contraire à l’idéal de l’école républicaine, censée fournir à tous les jeunes citoyens une base commune de connaissances. Le fossé entre cet idéal et la réalité me semble de plus en plus prononcé.