« La Zone d’intérêt » marque la première réalisation de Jonathan Glazer, une décennie après « Under the Skin ». Son retour triomphal dans le monde du cinéma a été reconnu et récompensé par l’obtention du Prix du jury lors de l’édition 2023 du Festival de Cannes.
Originaire du monde de la réalisation de vidéoclips et de publicités, Jonathan Glazer est un cinéaste que l’on retrouve rarement derrière la caméra, puisque son ancien projet remonte à une dizaine d’années avec son remarquable film Under the Skin mettant en vedette Scarlett Johansson en tant qu’extraterrestre destructrice. Glazer marque son retour en abordant un sujet complètement différent dans son film La Zone d’intérêt , en dépeignant la vie de Rudolf Höss, le commandant du camp de concentration d’Auschwitz, et celle de sa femme, Hedwig, qui vivent indifférents à proximité directe du camp, ignorant l’horreur qui se déroule juste à côté. La Shoah n’a jamais été représentée avec une telle sobriété, ce qui rend ce film d’autant plus bouleversant.
Un dénuement inhabituel
Dans la demeure champêtre idyllique qui est juxtaposée au camp de concentration, vivent le commandant d’Auschwitz, Rudolf Höss (joué par Christian Friedel), son épouse Hedwig (interprétée par Sandra Hüller) et leurs enfants. Lorsque le commandant est nommé à un autre poste, sa femme l’encourage à faire tout ce qu’il faut pour convaincre ses supérieurs de le garder à son poste actuel pour qu’ils puissent continuer à vivre dans ce qu’elle désigne comme un « paradis ».
Glazer montre une exigence aiguë dans sa mise en scène précise, où chaque plan est calculé au millimètre près, élevant ainsi cette technique du cinéma au rang d’art majeur. À travers La Zone d’intérêt, il réalise un film d’une profonde retenue émotionnelle sur le thème sensible de la Shoah au cinéma. Le luxueux manoir, bordé de jardins et consciencieusement entretenu par le couple Höss, semble avoir plus d’importance pour eux que l’extermination de juifs, de Roms et d’homosexuels que le commandant du camp se préoccupe d’optimiser. Les songes dérangeants de leurs enfants, illustrés en négatif noir et blanc, sont particulièrement significatifs et perturbateurs, presque comme s’ils étaient l’expression d’un refoulement.
Un reflet paradoxal de l’horreur
Des baraquements du camp, on aperçoit vaguement quelques silhouettes derrière un mur d’enceinte, tandis qu’une fumée noire s’élève au loin. Les bruits des fours crématoires se font intensément entendre, ponctués par le hululement lointain des trains et les hurlements étouffés et les coups de feu, alors que le couple entretient sereinement ses fleurs et son potager, rejouant l’insouciance face à la tragédie avoisinante. Les victimes du camp, qu’on voit à peine, semblent extrêmement banalisées. Cette mise en abyme, doublée d’une non-dititude assumée, rend l’horreur encore plus frappante dans ce décalage entre ce qui se passe dans le camp et les images des Höss dans leur jardin ou lorsqu’ils offrent des vêtements volés aux prisonniers à leurs connaissances, ou lorsque madame Höss dit avoir trouvé un diamant, astucieusement caché dans un tube de dentifrice.
La Zone d’intérêt , glaçante, joue avec l’ambiguïté sur sa fin, montrant un commandant Höss apparemment touché et ayant des nausées face à l’horreur dont il est responsable, mais qui n’arrive finalement pas à vomir. Les scènes contemporaines du mémorial d’Auschwitz créent un décalage avec le reste du film et on peut se demander si elles étaient vraiment nécessaires. Fidèle à son procédé artistique, Glazer collabore avec la compositrice Mica Levi pour créer une partition exceptionnelle qui joue un rôle d’acteur à part entière dans le film. Récompensé par le Prix du Jury lors du dernier Festival de Cannes, La Zone d’intérêt aurait bien mérité la Palme.
Informations techniques
Genre : Drame historique
Réalisateur : Jonathan Glazer
Acteurs : Sandra Hüller, Christian Friedel, Ralph Herforth
Pays : États-Unis/Great Britain/Allemagne
Durée : 1h46
Date de sortie : 31 janvier 2023
Distributeur : Bac Films
Synopsis : Rudolf Höss, le commandant du camp d’Auschwitz, et sa femme, Hedwig, tentent de bâtir une vie idyllique pour leur famille dans une maison avec jardin située à proximité du camp.