Dans « Moi Capitaine », qui sort en cinemas ce mercredi, Matteo Garrone dépeint l’histoire puissante et épique du voyage des migrants africains vers l’Europe. Nous avons eu le plaisir de rencontrer l’illustre cinéaste italien, connu pour son chef d’œuvre incontournable « Gomorra », pour discuter de son nouveau film qui a déjà reçu le Lion d’argent à la Mostra de Venise.
L’œuvre intitulée Moi Capitaine, qui sortira en salle le 3 janvier, met en scène une aventure épique réalisée par Matteo Garrone. Le film suit le parcours de deux adolescents de 16 ans qui ont choisi de quitter leur pays d’origine, le Sénégal, et de prendre d’énormes risques pour atteindre l’Europe, dans l’espoir de réaliser leur rêve de devenir chanteurs. Le film, qui mêle réalisme et conte, met en avant les valeurs de fraternité et de solidarité dans un récit souvent poétique. Moi Capitaine, qui a été récompensé à la Mostra de Venise et nommé aux Golden Globes dans la catégorie du Meilleur film en langue étrangère et présélectionné pour les Oscars, a fait ses débuts en Italie en septembre dernier et semble promis à une brillante carrière internationale. Matteo Garrone a été rencontré lors de son passage à Paris fin décembre.
Selon Matteo Garrone, la motivation pour dépeindre le parcours long, douloureux et dangereux des migrants africains vers l’Europe dans un film vient de son désir de raconter et de montrer une partie du voyage dont nous ne prenons pas conscience. Il a ressenti le besoin de montrer une autre perspective par rapport aux images familières de bateaux arrivant, souvent avec des résultats tragiques, et du décompte des vivants et des morts. On a tendance à oublier que derrière ces chiffres, il existe des individus, souvent jeunes, qui partagent les mêmes désirs que nous ou que nos enfants de poursuivre un rêve et de voyager.
Garrone explique également qu’il a délibérément choisi de raconter l’histoire du Sénégal, un pays où il n’y avait pas de conflit en cours. Il souligne l’importance de reconnaître que le droit de voyager ne devrait pas être limité à ceux qui fuient une guerre. Le film dénonce la violation constante des droits humains de base et questionne pourquoi certains ont le droit de se déplacer librement tandis que d’autres ne le peuvent pas.
L’existence au Sénégal est dépeinte avec réalisme, y compris la joie qui peut être trouvée même dans des conditions de pauvreté. Garrone insiste sur le fait qu’il est important de ne pas tomber dans le stéréotype selon lequel les personnes vivant dans la pauvreté devraient être dépeintes comme malheureuses. Il évoque les images du Néoréalisme italien du peuple de Naples, montrant la joie au milieu de conditions difficiles après la guerre.
Le film est tourné en Wolof et dans les langues des autres pays traversés par les personnages. Garrone explique que c’était important pour le film d’avoir une voix africaine, malgré les défis de la réalisation d’un film dans une langue qu’il ne comprenait pas.
Il décrit Moi Capitaine comme ayant la forme d’une fable, où la morale est que seul l’esprit d’humanité peut sauver le monde. Cependant, le film est également très réaliste et ne dissimule rien de l’horreur de ces voyages. Garrone explique comment il a réussi à équilibrer ces deux dimensions opposées en se référant à la sensation qu’il a ressentie pendant le tournage d’être entrelacé entre Gomorra et Pinocchio.
En plus d’être un récit sur l’immigration, Moi Capitaine est également une histoire d’amitié et de fraternité. Le film illustre une grande solidarité humaine face à la souffrance. Le film a été bien accueilli par les jeunes en Italie et a été projeté dans de nombreuses écoles dans le pays.
Garrone souligne également que l’engagement social est une caractéristique inhérente à son cinéma. Cet engagement est manifeste dans ce film, mais également dans ses œuvres précédentes. Il a notamment choisi certains de ses acteurs dans le milieu carcéral.
Le film dépeint également le parcours des migrants de manière picturale, avec des images aux couleurs vives. Garrone explique qu’il était important pour lui de créer un film « beau » tout en rendant cette beauté « invisible » au spectateur. Le film devait représenter un état de la vie et constituer un document d’histoire contemporaine.
Parmi les images frappantes, on peut citer cette scène où l’on voit des silhouettes d’hommes et de femmes se profilant dans le désert en ombre chinoise. Garrone explique que le paysage prend souvent une valeur dramaturgique dans ses films, agissant comme un personnage supplémentaire dans le récit. Dans Moi Capitaine, ce sont des paysages infinis qui servent de toile de fond à l’épopée humaine des personnages.