Chaque samedi, l’historien Fabrice d’Almeida nous offre une lecture éclairée de l’actualité en la replaçant dans son contexte historique.
Les récentes controverses liées aux propos de la ministre de l’Éducation nationale fournissent une occasion en or de se pencher sur le rôle du mensonge dans l’histoire de notre République. Et ce n’est pas un phénomène récent, il remonte aux origines même de notre système de gouvernement.
Nous nous souvenons tous : Louis XVI est soupçonné de collaborer avec les adversaires de la Révolution. Il dément ces accusations, mais sa tentative d’évasion avortée à Varenne en 1791 apporte la preuve du contraire. L’année suivante, des documents accusatoires sont découverts aux Tuileries, conduisant à sa mise en accusation. En vérité, Louis XVI a menti, il a trahi la révolution : son destin était dès lors inévitable. S’il n’était pas capable de représenter le nouvel ordre, il devait être éliminé. Ce nouvel ordre était celui de la politique fondée sur la raisonnabilité et la vérité, l’héritage des Lumières. C’est ainsi que notre idéal républicain a vu le jour. La république est née des mensonges de la monarchie.
Mais bien sûr, rien ne change vraiment. Les mensonges ont refait surface de la première à la troisième République. Sous la troisième République en particulier, l’affaire Dreyfus a démontré que mentir et falsifier ne sont pas rentables, les fautifs ayant été dévoilés publiquement. Malgré cela, le 28 octobre 1904, le général André nie avoir créé des fichiers sur les militaires selon leur relation avec l’Église catholique et la franc-maçonnerie. Il ment effrontément, car cela fait deux ans qu’il utilise ce fichier pour décider des promotions. Le lendemain, il ordonne la destruction des fichiers, mais c’est déjà trop tard. Le scandale a éclaté et son mensonge a été révélé.
Il s’agit là d’un cas flagrant de mensonge d’un ministre face à la représentation nationale. Nous retrouvons le même scénario dans l’affaire Cahuzac.
En France, le mensonge n’est pas considéré comme un délit
Tous les présidents de la Ve République ont été attrapés à un moment ou un autre en train de mentir. Même de Gaulle, pendant la guerre d’Algérie. Le rappeur Orelsan ironisait dans sa chanson Basique en 2017 : « Les politiciens doivent mentir, sinon tu ne voterais pas pour eux. »
Cependant, le mensonge n’est pas considéré comme un délit en France. Notre République a besoin de vérité pour fonctionner. Mais elle n’a jamais jugé nécessaire de criminaliser le mensonge en tant que tel. Les Américains, en revanche, peuvent engager des poursuites pour parjure. La majorité de nos mensonges ne sont donc pas poursuivis en tant que tels, mais plutôt pour les dommages qu’ils entraînent, voire les fraudes qu’ils dissimulent. C’est une réflexion à mener à une époque où l’information de qualité et l’idée même de vérité sont contestées dans nos démocraties.