Chaque semaine, Clément Viktorovitch remet sur la table les discussions et les problématiques politiques. Le dimanche 28 janvier a vu la discussion autour du droit à l’interruption volontaire de grossesse (IVG). C’est depuis mercredi que l’Assemblée délibère sur une proposition de loi qui a pour but d’intégrer à la Constitution la « liberté garantie » de pouvoir choisir l’avortement.
On avait pourtant bien commencé ! Au début, une première proposition de loi visée à inclure le droit à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) dans la Constitution avait été approuvée par l’Assemblée nationale et le Sénat, même si les termes étaient différents et que la loi n’avait pas été définitivement adoptée. Néanmoins, le Sénat a fini par l’approuver. Ensuite, cette semaine, l’Assemblée nationale a finalement abordé le projet de loi proposé directement par le gouvernement, avec une version fusionnant les deux précédentes. Et puis tout à coup… Gérard Larcher, le président des Républicains du Sénat, a fait son apparition. Invité le mardi 23 janvier sur 42mag.fr, on lui a demandé s’il soutenait le texte. Sa réponse : « Non. Je ne pense pas que l’IVG soit menacée dans notre pays. Si le droit à l’IVG était en danger, je me battrais pour qu’il soit préservé. Je suis d’avis que la Constitution n’est pas un catalogue de droits sociaux et sociétaux. »
Même s’il a précisé que c’était une opinion uniquement personnelle, il est évident que vu l’influence de Gérard Larcher à la Haute Assemblée, rien n’est certain.
Les raisonnements discutables du président du Sénat
Commençons par le premier : le droit à l’IVG n’est, en France, « pas menacé ». C’est incontestablement vrai… mais cela pourrait changer dans le futur ! Le renversement radical de la Cour Suprême américaine en juin 2022, et l’érosion du droit à l’avortement en Pologne depuis les années 1990 montrent que rien n’est jamais certain. Par ailleurs, l’un des objectifs d’une Constitution est précisément de protéger les libertés contre les aléas de l’histoire.
Quant à l’assertion que la Constitution ne devrait pas être « un catalogue de droits sociaux et sociétaux », eh bien… elle l’est ! Le préambule de notre Constitution ne se donne simplement pas la peine de les énumérer. Il fait simplement référence aux libertés publiques et aux droits sociaux garantis par la Déclaration de 1789, le préambule de la Constitution de 1946 et la Charte de l’environnement de 2004. Cependant, si l’on veut reconnaître des droits nouveaux, qui n’étaient pas encore couverts par ces textes, il faut les inscrire quelque part. Ce quelque part, c’est la Constitution de 1958 elle-même.
L’intégration de l’IVG dans la Constitution aurait-elle un effet positif sur les droits des femmes ? Cette question suscite un vif débat juridique. La version originale du projet de loi, déposée à l’initiative de Mathilde Panot, protégeait incontestablement les droits des femmes en affirmant que la loi devait garantir à la fois « l’efficacité et l’égal accès au droit à l’IVG ». En revanche, le texte validé par le Sénat était, lui, bien moins ambitieux. Il se limitait à stipuler « La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse. » Comme le fait remarquer la professeure de droit public Stéphanie Hennette-Vauchez, cette protection est très partielle, car elle pourrait ouvrir la voie à des dispositions légales extrêmement rigoureuses, qui finiraient par saper en pratique la possibilité d’avorter.
De véritables questions légales se posent autour du texte
La version finalement choisie par le gouvernement est une sorte de compilation : « La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours. » Ce texte n’assure certes pas « l’efficacité et l’égal accès au droit à l’IVG », mais il fait réapparaître l’idée d’une « liberté garantie. » C’est précisément ce terme qui pourrait susciter les objections du Sénat.
Le Conseil d’État, dans son avis du 12 décembre, a estimé que le texte retenu par le gouvernement n’était pas nécessairement moins protecteur, d’un point de vue juridique, que celui proposé initialement par Mathilde Panot. Certains constitutionnalistes, comme Anne Levade, pensent même que le droit à l’avortement serait déjà protégé par la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Cela dit, on peut répliquer qu’il serait préférable que le texte soit voté, et le plus précis possible, pour protéger au mieux le droit à l’IVG contre de possibles attaques futures. En outre, le débat sur cette question ne concerne pas uniquement des enjeux juridiques : ils sont aussi, et peut-être surtout, symboliques. Comme le souligne la juriste Anne-Charlène Bezzina, avec cette loi, la France serait le premier pays du monde à inscrire le droit à l’IVG dans sa Constitution. Elle retrouverait ainsi son rôle de guide en matière de droits et de libertés, rôle qu’elle a su tenir en 1789 ou en 1946, mais qu’elle a ensuite laissé échapper – en particulier sur la question de l’abolition de la peine de mort, si tardive dans notre pays. Alors que le droit à l’avortement est remis en question au sein de l’Union européenne, il y aurait là, je pense, une vertu politique qui honorerait notre ancien État.