La cinéaste de « Bye bye Tibériade », Lina Soualem, en collaboration avec sa mère Hiam Abbass, partage l’expérience de la création de ce film qui traite de sa famille touchée par le déplacement forcé en Palestine. C’est un combat pour donner de la visibilité aux récits palestiniens, le film est en projection depuis le 21 février.
Hiam Abbass et sa fille Lina Soualem, toutes deux familières avec l’univers des médias, sont souvent sollicitées pour des interviews. Actrices et réalisatrice de renom, elles sont fort occupées par la promotion de leur film Au revoir Tibériade, depuis sa sortie le 21 février. Le film est un aperçu poignant de leur histoire familiale, marquée par la Nakba, l’exil forcé des Palestiniens. Le documentaire met en lumière le chemin de vie remarquable de la mère et de la grand-mère d’Hiam Abbass. Il se présente également comme un recueil de souvenirs familiaux et d’images anciennes de la lignée maternelle de Lina Soualem. Il n’est pas sans rappeler l’actualité des tensions entre Israël et le Hamas.
Retour sur une histoire palestinienne pour Franceinfo Culture
Pour Franceinfo Culture, la mère et la fille s’étendent sur l’importance d’exposer les récits des Palestiniens.
À l’origine de Au revoir Tibériade
Lina Soualem déclare que l’inspiration lui est venue suite à son premier film Leur Algérie, où elle a filmé ses grands-parents paternels algériens. Elle réalise alors qu’elle n’avait pas fini de comprendre son histoire, constamment hantée par sa lignée maternelle. Elle évoque le silence pesant qui enveloppait l’histoire de sa famille paternelle, tue suite aux traumatismes liés à la déracination, la colonisation et l’immigration. En comparaison, l’histoire familiale maternelle est plus vivante, transmise pour survivre. C’est ce qui la pousse à se plonger dans cette partie de son histoire. Lors du tournage de Leur Algérie, elle commence alors à filmer sa grand-mère maternelle, consciente du devoir de préserver cette mémoire.
Les histoires plus douloureuses et tragiques sont plus complexes à raconter. Cependant, il devient vital et nécessaire de le faire. Elle découvre ainsi que les images d’archives filmées par son père sont un véritable trésor.
Quant à Hiam Abbass, elle affirme que lorsque l’on naît dans le sillage des exils comme l’Algérie et la Palestine, il est de mise d’explorer les deux côtés de son histoire pour trouver un équilibre entre les deux. Cette histoire ne concerne pas uniquement ses parents, elle les dépasse.
Comment lutter contre l’oubli de ces récits palestiniens face à l’indifférence généralisée ?
Selon Lina Soualem, revaloriserla place des femmes dans l’histoire et reconnaître leur droit à l’existence seraient une solution. Dans le film, il est impossible de nier ce que ces femmes ont enduré. Ce n’est pas une prise de position ni un parti pris, c’est la réalité.
Face à la stigmatisation et à cette image abstraite, homogène, des Palestiniens, souvent essentialisés, elle met en avant les mémoires individuelles de ces gens qui cherchent juste à trouver leur place dans le monde. Face à cet effacement constant, ce film devient une archive de leur histoire, un témoignage contre l’oubli.
Elle déplore l’effacement de l’identité palestinienne par le reste du monde, le réductionnisme de la représentation d’un « peuple sans terre pour une terre sans peuple ». Selon l’opinion collective, il n’y avait pas de civilisation existante. Pourtant, et malgré tout, les Palestiniens sont toujours là, vivants, perpétuant leur culture à travers la célébration de la vie quotidienne. Ce film, elle le considère comme une affirmation de l’appartenance à une culture et à une mémoire collective d’anciens colonisés, comme une survie face à la déshumanisation.
L’identité palestinienne, érodée par le conflit, peut-elle être encore rappelée par un film à échelle familiale ?
Pour Lina Soualem, un tel film permet de mettre en évidence ce qui est souvent oublié, ou négligé. Il permet de contrer les stéréotypes et préjugés que les gens projettent sur eux, de souligner l’humanité des Palestiniens, de rappeler leurs aspirations et de leur redonner leur place dans l’histoire.
Malgré leur dépossession, les Palestiniens continuent de choisir la vie, tout comme les femmes de sa famille. Ce film n’est pas juste sur la survie, il est aussi une célébration de la vie, une ode à la richesse de la culture palestinienne.
Y avait-il une impérieuse nécessité à réaliser ce film ?
Hiam Abbass parle davantage de la peur de la perte. Lina Soualem parle d’un besoin de laisser une trace, pour contrer le sentiment de dissolution face à l’image que le reste du monde avait d’elles. Commencé il y a sept ans, le film sort aujourd’hui dans un contexte où cette nécessité est devenue une vraie urgence.
Sur le tournage, la communication entre mère et fille semble fluide, sans gêne. Est-ce le reflet de la réalité ?
C’est bien le cas, assure Lina Soualem. Ce que nous voyons à l’écran est bien le reflet de leur relation. Il y a eu des moments plus ardues, qu’elles ont préféré retirer. Selon elle, trouver cet équilibre n’a pas été facile. Et trouver sa place en tant que réalisatrice et femme face à sa mère s’est avéré être un défi.
Hiam Abbass, quant à elle, pensait qu’il serait difficile de se mettre face à la caméra, de raconter son histoire. Aguerrie au jeu d’actrice, elle avait plus de facilité à incarner les vies des autres. Elle a toutefois fini par comprendre qu’elle avait sa place dans le film. Elle est le lien entre Lina et les autres femmes de la famille.
Est-ce que le tournage du film a eu un effet thérapeutique sur vous, Hiam Abbass ?
Hiam Abbass est sceptique et ne dit pas se sentir ainsi. Au sein de leur famille, la parole avait toujours circulé librement, ce non-dit provenait plutôt du côté professionnel. Elle avait notamment choisi une profession qui sortait des conventions dans sa culture, en particulier pour une femme. Le film était surtout une nécessité et un devoir envers la mémoire. Elle a accepté d’y participer car elle se sentait inévitablement responsable de plonger dans un passé parfois douloureux. En se confrontant à cette douleur, elle a souhaité accomplir ce devoir de mémoire et a permis à la caméra de Lina de le faire.
La vente de la maison familiale dans le film a-t-elle été un moment difficile pour vous ?
Hiam Abbass ne ressent pas la maison comme faisant partie de son histoire. Pour elle, c’est une maison familiale où la vie régnait autrefois, mais en l’absence de ses parents, elle perd tout sens. Ce n’est que de la maison à Tibériade de ses grands-parents maternels, qu’elle ressent une certaine nostalgie. Selon elle, choisir de se débarrasser d’un lieu est une chose, être expulsé de force en est une autre.
Votre mère et votre grand-mère n’ont jamais voulu quitter la Palestine. Ont-elles pu vous expliquer pourquoi ?
Selon Hiam Abbass, on ne quitte pas son pays. Elle explique avoir dû partir pour la réalisation de ses ambitions, ce qui lui semblait impossible dans ce contexte-là. Elle parle de la difficulté de vivre une double identité en Palestine, où l’identité palestinienne était effacée. Avec le recul, elle réalise qu’elle fuyait un poids quotidien qu’elle ne voulait plus porter ni justifier. Elle voulait se libérer de ce fardeau et réalisait autre chose. Pour sa mère et sa grand-mère, il était impensable de bouger une deuxième fois après avoir été chassé une première fois.
Au revoir Tibériade, réalisé par Lina Soualem et mettant en scène Hiam Abbass, a été lancé le 21 février.