La comédienne Hiam Abbass narre à sa progéniture, la cinéaste Lina Soualem, le récit de sa tribu et de son départ forcé de la Palestine dans « Bye bye Tibériade », un documentaire qui sera projeté dans les cinémas le 21 février, mettant en avant l’attachement profond des Palestiniens à leurs terres natales.
Vivre loin de chez soi, avoir peur de tout perdre du jour au lendemain et apprendre à savourer les petits bonheurs de la vie. Cette histoire est celle de Hiam Abbass, une actrice d’origine palestinienne. Mais pas seulement car c’est aussi l’histoire des femmes de sa famille, qu’elles aient quitté leur pays ou non. Cela inclus ses sœurs, sa grand-mère, ses tantes, ses amies, et même sa fille Lina Soualem, réalisatrice du documentaire Bye bye Tibériade, que l’on peut voir sur grand écran à partir du 21 février.
Tibériade, c’est cette ville touristique construite autour du lac du même nom, en Galilée. « Durant toute mon enfance, ma mère m’a amenée me baigner dans ce lac« , se rappelle Lina Soualem au début du film. Ce documentaire se présente comme un album visuel regorgeant de souvenirs et d’images d’archives de la famille maternelle de Lina. C’est un voyage qui vient éclaircir des périodes de l’histoire familiale restées dans l’ombre, des instants de vie flous et une histoire familiale que Lina avait du mal à saisir.
« Vous allez me mettre en terre et enfouir mon histoire »
« Cette littérature, cette langue, comme j’aurais aimé que tu la connaisses !« , dit Hiam Abbass à sa fille après avoir lu un poème en arabe. « Je sais parler, c’est juste que je ne sais pas lire« , répond Lina. Née à Paris, Lina passe ses étés à Deir Hanna avec sa grand-mère Neemat. Première femme de la famille à voir le jour loin du village natal, Lina décide d’ouvrir le « livre des douleurs passées« , afin de préserver un endroit en danger de disparition.
Les histoires des femmes de la famille s’entremêlent. Il y a tout d’abord celle de la mère de Lina, Hiam qui quitte son village à la fin des années 1980 pour poursuivre le rêve américain et faire carrière dans le cinéma. Son parcours international est marqué par son rôle dans Les Citronniers d’Eran Riklis et plus récemment par sa participation à la série Succession. Il y a aussi l’histoire de la grand-mère de Lina, Neemat qui a été séparée de sa sœur Hosnieh lors de la Nakba (l’exil forcé) des Palestiniens en 1948. Et n’oublions pas celle de l’arrière-grand-mère Um Ali qui s’est battue pour reconstruire un foyer après avoir été expulsée.
« Bientôt, je vais mourir, vous allez m’enterrer et enterrer mon histoire, mes prières et mes souvenirs« , dit tristement Neemat. Lina organise un voyage aux sources, accompagnée de sa mère qui éclate en sanglots en visite la maison familiale. Les blessures restent vives. Hiam Abbass est tourmentée par ses choix passés, tout abandonner pour une vie de liberté. Le documentaire révèle les non-dits, les discussions restée sans réponse et les souffrances qui vont avec. On est plongé avec Lina dans cette maison, dans ces rues étrangement calmes de Deir Hanna où Palestiniens et Israéliens semblent tolérer leur cohabitation. Que va devenir ce village ? Ces maisons sont-elles toujours debout depuis le 7 octobre ?
Des destins féminins
Sur le balcon familial, où Hiam laisse son regard s’égarer dans une nostalgie touchant, on retrouve Lina en train de jouer quand elle était enfant, dans une vidéo d’archives datant de juillet 1992. Dans ce documentaire, Lina découvre plus sur les bouleversements qui ont secoué sa mère à une époque où elle était encore toute jeune. Hiam Abbass raconte sa vie loin de sa famille avec laquelle elle avait rompu les liens. Le poids des traditions, le mariage, mais surtout la vie dans une ville où Hiam étouffe. Le village de Deir Hanna est sous la coupe de l’armée israélienne. Les habitants ne peuvent pas prononcer le mot Palestine. Il n’y a ni cinémas, ni théâtre. Pour Hiam, la seule échappatoire est l’écriture. Écrire ses rêves les plus fous, ses désirs d’évasion. Hiam Abbass a voulu franchir les frontières.
« Je suis née de ce départ, de cette fracture entre deux mondes« , explique Lina Soualem, fruit du mariage de Hiam Abbass avec le comédien Zinedine Soualem. La naissance de Lina a modifié les relations de Hiam avec sa famille. Elle a permis de recréer des liens. Le voyage bouleversant, riche de photos personnelles et de vidéos d’époque, fait comprendre à l’échelle d’une famille, les conséquences de la Nakba.
L’histoire de la grand-mère Neemat est jalonnée d’images en noir et blanc de la vie à Jérusalem dans les années 1940. Neemat intègre la plus prestigieuse école d’institutrices. C’est l’une des meilleures élèves palestiniennes. Elle réussit à briser les préjugés et gravit les échelons. Mais tout bascule en 1948. À 16 ans, quelques mois avant la remise de son diplôme, la guerre éclate. Elle est expulsée de la ville avec sa famille. La cohabitation se transforme. Brisée par les guerres, la famille de Lina a appris à survivre. Lina Soualem fait le portrait de trois générations de femmes et entrelace leurs destins, leurs forces. Elle montre avec brio à quel point chaque parcours de vie a contribué à la construction d’un autre. Lina Soualem démontre surtout que les vies des Palestiniens sont marquées par une histoire et un passé gravés dans la pierre de leur terre.
Les détails
Catégorie : Documentaire
Réalisation : Lina Soualem
Acteurs : Hiam Abbass, Lina Soualem
Origine : France/Palestine
Durée : 1h22
Sortie : 21 février 2024
Distributeur : JHR Films
Synopsis : Hiam Abbass a quitté son village palestinien pour réaliser son rêve de devenir actrice en Europe, laissant derrière elle sa mère, sa grand-mère et ses sept sœurs. Trente ans plus tard, sa fille Lina, réalisatrice, retourne avec elle sur les traces des lieux disparus et des mémoires dispersées de quatre générations de femmes palestiniennes. Véritable tissage d’images du présent et d’archives familiales et historiques, le film devient l’exploration de la transmission de mémoire, de lieux, de féminité, de résistance, dans la vie de femmes qui ont appris à tout quitter et à tout recommencer.