Dans une réalisation d’Olivier Py, Laurent Lafitte nous offre une interprétation inédite du personnage de Molière, véritable icône nationale.
Le cinéaste Olivier Py propose une exploration des derniers instants de Molière dans son nouveau film, qui donne un aperçu audacieux de la vie de ce monument littéraire devenu un symbole de l’histoire et de la culture française. Le film, intitulé Le Molière imaginaire, sera à l’affiche à partir du 14 février 2024.
Laurent Lafitte, membre de la Comédie-Française, a confié à Franceinfo Culture comment il a abordé ce personnage aussi sacré qu' »intouchable ». Il livre les détails d’un tournage intense en huis clos, réalisé avec un dispositif filmique inventif, orchestré par Olivier Py. Le film a en effet été tourné en un seul plan-séquence, à la lumière des bougies et avec un unique décor.
Franceinfo Culture : Comme vous êtes un sociétaire de la Comédie-Française et que vous avez joué certains rôles de Molière, comment avez-vous réagi lorsque Olivier Py vous a proposé de jouer Molière ?
Laurent Lafitte : En réalité, ma connexion avec la Comédie-Française et le répertoire de Molière a peu à voir avec cela. Je n’ai pas beaucoup joué Molière, d’ailleurs. J’ai seulement incarné Don Juan, même si j’ai travaillé sur son œuvre lors de mes études au conservatoire. Ce qui m’a vraiment intrigué, en plus du fait que le personnage était Molière, c’est la manière dont Olivier Py l’a présenté, et l’aspect qu’il a choisi d’explorer, à savoir les dernières heures de sa vie en plan séquence. C’est cela qui a attiré mon attention, autant que le personnage lui-même. Je pense aussi que c’est une excellente façon de résumer son parcours, sa personnalité, les enjeux de sa vie et ce que sera son héritage, qu’il ne soupçonne même pas encore.
Vous n’avez pas été impressionné d’incarner Molière, un colosse sacré, qui est en quelque sorte « intouchable » ?
Molière est devenu un mythe français au point que notre perception de lui peut sembler irrationnelle. Il est donc intéressant d’essayer de le « démystifier » et de le rendre plus humain. C’est ce que fait Olivier Py, et c’est ce qui m’attire. Il s’agit de représenter quelqu’un qui n’est pas nécessairement conscient de l’empreinte qu’il laissera. Pendant que Molière était en vie, Corneille était l’auteur prédominant, pas lui. Molière était certes un grand acteur et très populaire, peut-être la première véritable célébrité française. Il était le premier Français à être célèbre sans être un dirigeant. Cependant, pendant sa vie, il était plus reconnu comme acteur que comme auteur. Je doute qu’il ait pu prévoir l’importance que son travail comme auteur allait prendre en France.
Olivier Py pense que vous ressemblez à Molière, qu’en pensez-vous ?
Personnellement, je ne trouve pas. Philippe Caubère, par contre, lui ressemble plus à mon avis, surtout en ce qui concerne le menton… En tout cas, si on compare avec le célèbre portrait de Molière par Mignard.
Comment avez-vous réussi à vous mettre dans la peau de ce personnage ?
Je n’ai pas vraiment l’impression de m’approprier un personnage. L’idée de « rentrer dans la peau d’un personnage » est un concept assez abstrait pour moi. Il me semble que je ne peux partir que de qui je suis. Je fais donc plus d’efforts pour amener le personnage à moi. En d’autres termes, c’est plutôt le personnage qui entre en moi (rires). Mais cela se fait de façon passive, en jouant les situations écrites par Olivier Py. C’est ainsi que j’aborde mon interprétation du personnage.
Y a-t-il des traits du personnage qui vous parlent vraiment? Qu’avez-vous en commun avec lui?
Ce qui me touche d’abord, c’est qu’il examine ses contemporains à travers le prisme de la comédie. En effet, c’est l’origine de « l’esprit français ».
Est-ce quelque chose à quoi vous pouvez vous identifier ?
Absolument. J’aime observer mes contemporains et moi-même sous l’angle de la comédie, car cela rend les choses plus digestes. Donc, je partage ce trait avec lui. De plus, ce désir et en même temps, cette exigence, cet idéal qu’il a, en voulant rester droit tout en étant conscient de la nécessité du compromis et de ce qu’il faut faire pour réaliser ses ambitions. Je pense que nous sommes tous toujours confrontés à ces dilemmes. C’est un peu comme le dialogue entre Alceste et Philinte dans Le Misanthrope. J’adore cette scène parce qu’on perçoit presque un dialogue intérieur de Molière avec lui-même. Je trouve que cette scène le représente beaucoup.
Molière est aussi celui qui a formé la langue française, non ?
Oui, on parle effectivement de « la langue de Molière » pour une bonne raison. Au XVIIe siècle, il y avait de nombreuses versions du français, entre les dialectes régionaux, les accents et aussi différents usages selon les classes sociales… Et Molière a réussi dans son écriture à créer une langue que tout le monde comprenait. Il l’a exploitée dans des situations qui faisaient rire tout le monde, avec des publics de milieux très, très différents. Il parvenait à rassembler dans son théâtre du Palais Royal, à Paris, des gens très différents. C’était probablement une nouveauté.
Cette ambition de s’adresser à tous, vous la partagez ?
Quand je travaille sur quelque chose, j’espère toujours qu’il sera vu par le plus grand nombre de personnes. Je n’ai aucune envie de faire des choses destinées à un public spécifique. Je sais que ce film est original, qu’il est un peu étrange, qu’il est très baroque et qu’il montre des aspects de Molière que tout le monde n’a pas nécessairement envie de voir. Mais justement, j’espère vraiment que le film sera vu par le plus grand nombre de personnes. J’essaie toujours d’avoir une ambition populaire dans mon travail.
Quand vous parlez des aspects du personnage que certains n’ont pas envie de voir, vous faites référence à sa relation avec Michel Baron, qui est mentionnée dans le film ?
Oui, c’est l’une des choses qui sont assez peu connues. Il y a eu beaucoup de débats sur le fait qu’il s’est marié avec la fille de sa première femme, qui, de surcroît, aurait pu être sa propre fille. En effet, il semblerait qu’il aurait entretenu une relation avec la mère de sa future femme avant de l’épouser officiellement… Mais je pense que c’est faux. Je ne pense pas que les dates concordent. Je crois qu’elle n’aurait pas pu être sa fille. Quoi qu’il en soit, il l’a tout de même connue enfant et il était en couple avec sa mère. On est peut-être plus dans une situation à la Woody Allen…
Son idylle avec Michel Baron, qui est aussi documentée