Hervé Berville qui avait déjà la responsabilité de la Mer, a vu ses responsabilités augmenter. Bien qu’il s’engage à aborder avec détermination sa nouvelle mission, sa défense des pêcheurs lui a parfois valu les critiques des protecteurs de la biodiversité jusqu’à présent.
Suite à l’engagement – honoré en partie – de Gabriel Attal de former un gouvernement moins élargi, l’Élysée a annoncé le jeudi 8 février qu’un même secrétaire d’État se chargerait désormais de la Mer et de la Biodiversité. Auparavant, la Biodiversité était attribuée à tour de rôle à des secrétaires d’État spécifiques : Barbara Pompili, Bérangère Abba puis Sarah El Haïry. Cette fois-ci, Hervé Berville, qui avait déjà en charge la Mer dans le cabinet précédent d’Elisabeth Borne, se voit attribuer ce dossier. C’est avec cette nouvelle double responsabilité qu’il a participé, mercredi 14 février, au premier Conseil des ministres du gouvernement de Gabriel Attal.
Autre changement notable : bien que le secrétariat d’État était anciennement directement lié au Premier ministre, il est maintenant sous la supervision du ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu. D’après une source gouvernementale auprès de 42mag.fr, c’est ce dernier qui a mis l’accent sur ces ajustements. Cependant, ces changements ont suscité des interrogations, surtout parce qu’ils mettent la Biodiversité à la dernière position dans l’ordre protocolaire, comme l’indique le SNE-FSU, un syndicat de l’Office français de la biodiversité, sur X. Existe-t-il une logique dans le rapprochement de ces deux dossiers ? Les intérêts de chacun sont-ils en harmonie ?
Une « incompatibilité » entre pêche industrielle et environnement
Avant de devenir secrétaire d’État à la fois de la Mer et la Biodiversité, Hervé Berville, secrétaire d’État à la Mer sous Elisabeth Borne, avait en juillet 2023 appuyé un moratoire contre l’exploitation d’eaux profondes en mettant l’accent sur « le risque de dommages irrémédiables pour nos écosystèmes marins« . Cependant, il avait rejeté, quelques mois avant, en mars, une mesure de l’UE visant à interdire le chalutage dans les aires marines protégées. « Ce plan condamnerait la pêche artisanale française et l’amènerait à disparaître. Pas dans dix ans, demain », avait-il déclaré à l’Assemblée, cité par Le Monde.
« Pendant deux ans, Hervé Berville a mené une politique de l’autruche, en étant dans une dépendance avec le lobby de la pêche industrielle », souligne l’association Bloom, qui a déposé une plainte contre le secrétaire d’État, recalée en mai. La désignation de ce dernier comme responsable de la préservation de la biodiversité, tout en conservant ses anciennes fonctions, fait également réfléchir l’écologue Philippe Grandcolas, directeur de recherche au CNRS, pour qui ces deux rôles « peuvent être conflictuels » :
« Comment Hervé Berville parviendra-t-il à concilier la pêche industrielle et la défense de l’environnement ? Il y a des risques de conflits d’intérêts. »
Philippe Grandcolas, écologueà 42mag.fr
À la suite de sa nomination, Hervé Berville a affirmé sur X qu’il était « résolu à continuer le travail commencé avec Christophe Béchu pour protéger nos océans, préserver la biodiversité et agir dans toutes nos régions pour réussir la transition écologique ».
La crainte de reléguer la biodiversité « au second rang »
La préservation de la biodiversité est un enjeu d’envergure : en France, plus de 2 400 espèces sont menacées d’extinction, d’après le comité français de l’Union internationale pour la conservation de la nature. Cependant, en voyant la biodiversité perdre son propre portefeuille, les chercheurs et écologistes s’interrogent sur la place que ce combat occupe dans les politiques du gouvernement. « On peut se demander quel sera l’avenir de la Stratégie nationale biodiversité 2030 au sein de ce futur secrétariat d’État, quand on sait que l’une de ses mesures phares, le plan Ecophyto, a été suspendu », prévient Philippe Grandcolas.
« Le seul message que ça envoie, c’est qu’on ne pouvait pas placer ‘Biodiversité’ plus bas dans l’organigramme. On devrait faire de la protection de la biodiversité un enjeu majeur, pas un qui soit relegué et rattaché à un autre », regrette le député écologiste Julien Bayou. La présidente du groupe écologiste à l’Assemblée, Cyrielle Chatelain, partage sa préoccupation :
« Je n’accorde aucune crédibilité à ce gouvernement pour prendre en charge les problématiques de biodiversité. Regrouper cela avec la mer pourrait avoir un sens. Mais je crains que cela soit pour la reléguer au second plan. »
Cyrielle Chatelain, présidente du groupe écologiste à l’Assemblée nationaleà 42mag.fr
Même parmi les supporters du président, tout en approuvant la décision de l’exécutif, on accepte qu’il reste un long chemin à parcourir. « Hervé Berville va effectivement devoir s’impliquer davantage dans ces enjeux », lance Jean-Marc Zulesi, député Renaissance et président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire à l’Assemblée. « Ce regroupement est logique, notamment en vue de l’Année des océans planifiée pour 2025 », justifie le cabinet de Christophe Béchu, contacté par 42mag.fr, mettant l’accent sur « le lien manifeste entre biodiversité et mer ». « C’est précisément dans ces domaines, où des affrontements peuvent exister, qu’il est pertinent de les réunir », ajoute un autre député Renaissance.
L’espoir d’une « cohérence accrue » entre ces politiques
Les ONG souhaitent également donner une chance au secrétaire d’État. « Les deux thèmes ne sont pas contradictoires. Je pense qu’avec ce regroupement, Hervé Berville a reçu un mandat et la responsabilité de concilier enfin les enjeux de biodiversité et de la mer », espère Swann Bommier, chargé de plaidoyer chez Bloom. « Nous considérons qu’il est pertinent de regrouper la mer et la biodiversité », confirme Lamya Essemlali, présidente de Sea Shepherd France, qui demande « plus d’équilibre » entre les aspects économiques et environnementaux.
« Ces enjeux sont liés et le défi est immense. On espère que cela permettra une plus grande cohérence et un renforcement de son équipe sur ces problématiques. »
Lamya Essemlali, présidente de Sea Shepherd Franceà 42mag.fr
Selon Philippe Grandcolas, fusionner ces deux portefeuilles peut avoir deux impacts : construire une transition écologique plus puissante et transversale, avec une stratégie alliant biodiversité, alimentation et énergie ; ou, au contraire, rendre invisible la protection de la biodiversité. « Au regard des orientations gouvernementales, on peut craindre que la deuxième orientation soit la plus probable », déplore l’écologue. « Il n’y pas de renoncement sur la biodiversité », répond le cabinet du ministre de la Transition écologique, pour qui réunir les deux sujets est avant tout « une question d’efficacité dans un gouvernement condensé ».