Özcan Alper, avec son quatrième film, donne une image réfléchie de la société turque. « Nuit noire en Anatolie » est une analyse détaillée d’une société qui peine à entrevoir son futur. C’est intense.
Aucune similitude avec des événements ou des personnages réels ne serait purement accidentelle, mais pourrait plutôt résulter d’une réalité bien pesée. Özcan Alper est un cinéaste de la réalité. Il puise son inspiration dans des événements réels, des objets et des situations observés dans son pays d’origine, la Turquie. Une affaire sinistre qui l’a marqué est la disparition d’un étudiant parti travailler dans une ville notoire pour ses tendances nationalistes. Le père, malgré sa quête désespérée pour retrouver son fils, n’a bénéficié d’aucune assistance. Dans son 4ème long métrage, le réalisateur tente de représenter un reflet de la société turque.
Nuit noire en Anatolie s’apparente à un western contemporain. Ishak, joué par un Berkay Ateş sombre et tourmenté, gagne son pain en se produisant comme musicien dans une discothèque. Célibataire et solitaire, il se contente d’une existence simple. Il mène une vie de reclus, hanté par un passé qu’il n’arrive pas à effacer. Un jour, il retourne dans son village d’origine qu’il a dû quitter précipitamment pour aller veiller sur sa mère. Le passé a la fâcheuse tendance à resurgir à la moindre provocation des souvenirs. Et les villageois rejettent ce passé, enseveli dans les recoins de la culpabilité. Ils manifestent donc leur hostilité envers Ishak et invitent ce dernier à retourner en ville. Le musicien se retrouve à faire face aux villageois mais également à confronter son propre passé qui hante toujours son présent.
L’omerta
Les villageois ont opté pour l’amnésie collective plutôt que de conserver une mémoire du passé. Qu’a-t-il bien pu se passer ? L’arrivée d’un nouveau garde forestier perturbe l’équilibre précaire et les intérêts non déclarés du village. L’atmosphère du village s’électrise. Malgré lui, le nouveau garde forestier devient une obsession et une cible. Sa relation fusionnelle avec Ishak provoque des tensions. Le réalisateur suggère plutôt qu’il ne dépeint explicitement. Il explore l’autre, cet inconnu. Sa caméra plonge dans les paysages, dans les failles et les abysses de la région, à l’image d’une introspection des âmes. Il est certain qu’une chose est certaine : Özcan Alper sait filmer. Ses cadrages sont une suite de fresques d’une beauté à couper le souffle, qui finissent par devenir envahissantes.
Quel est donc le futur de la Turquie ? « Le film se déroule parmi des personnes apparemment ordinaire, dans une petite ville de montagne. J’ai déjà vu de nombreuses photos illustrant de tels environnements sous plusieurs régimes autoritaires à travers le monde. Ce qui m’a poussé à réaliser ce film, c’est le contexte politique qui sert de toile de fond à l’histoire. Avec ce film, je tente de montrer comment les désirs étouffés par la société, la sexualité refoulée, peuvent engendrer un climat de peur et de violence », confie le réalisateur. Nuit noire en Anatolie, est l’autopsie d’une société repliée sur elle-même. Nuit noire en Anatolie, un film poignant et remarquable.
Fiche technique
Titre : Nuit noire en Anatolie
Réalisateur : Özcan Alper
Langues : Turc sous-titré français
Durée : 1h54
Distribution : Berkay Ateş, Taner Birsel et Sibel Kekilli
Date de sortie : 14 février 2024
Synopsis : Ishak vit seul en Anatolie et se produit dans un night-club pour subvenir à ses besoins. Un jour, il doit quitter son domicile abruptement pour aller veiller sur sa mère dans son village natal qu’il a dû abandonner sept ans plus tôt. De retour dans son village, Ishak fait face à l’animosité générale tout comme aux supplices de son propre passé.