L’actrice Judith Godrèche a exposé plusieurs tactiques telles que la mise à l’écart de la « victime », l’usage de la contrainte, ou encore la manipulation de la culpabilité. Ces stratégies, relatées dans son témoignage, contribuent à mieux saisir la domination et les processus caractéristiques des agressions à caractère sexuel.
Judith Godrèche, actrice française, a récemment porté plainte contre le réalisateur Benoît Jacquot pour des allégations de viols puisqu’il s’est fait connaître comme petite fille. Elle a également rapporté avoir fait l’objet d’abus de la part de Jacques Doillon lors du tournage du film « La fille de quinze ans », lors d’une récente interview sur France Inter.
Ces déclarations de Judith Godrèche peuvent aider à mettre en lumière les stigmates liés aux violences sexuelles et contribuer à la déstigmatisation des victimes, selon des intervenants spécialisés dans l’assistance aux femmes et enfants victimes de violences.
Vanessa Springora avait décrit des situations similaires dans son livre « Le Consentement » début 2020. Elle y dépeint la relation sous emprise qu’elle a vécue dès l’âge de 14 ans avec l’écrivain Gabriel Matzneff, alors qu’il avait 50 ans.
En parcourant le récit de Springora, Judith Godrèche a eu le sentiment que ce livre aurait pu être écrit à son sujet. Elle l’a déclaré mercredi dans le journal Le Monde. Aujourd’hui âgée de 51 ans, l’actrice a porté plainte pour viols sur mineure contre le réalisateur Benoît Jacquot, avec qui elle a eu une relation amoureuse dès ses 14 ans.
L’isolement de la victime
Dans Le Monde, Benoît Jacquot, alors âgé de 40 ans et aujourd’hui de 77 ans, a nié catégoriquement toutes les accusations portées contre lui. Interrogé mercredi par l’AFP, le réalisateur à la filmographie riche d’une trentaine de films n’a pas souhaité s’exprimer plus longuement. Ernestine Ronai, responsable de l’Observatoire des violences faites aux femmes en Seine-Saint-Denis, voit dans le propos de l’actrice les signes d’une emprise, avec comme principe le fait de maintenir sa victime sous son contrôle, en la faisant douter de la réalité du viol.
Elle explique que l’agresseur tend à isoler la victime, la privant de son cercle social constitué par ses amis et sa famille.
L’industrie cinématographique : un bouclier
Emmanuelle Piet, présidente du Collectif féministe contre le viol (CFCV), affirme que les agresseurs ont une stratégie bien définie. Ils choisissent leurs victimes en fonction de leur goût personnel – que ce soit une petite fille, un petit garçon ou un adolescent – et de la vulnérabilité de ces derniers. L’agresseur s’emploie ensuite à accentuer cette vulnérabilité et à isoler davantage la victime.
« Un agresseur crée son propre halo d’impunité. Il évolue dans un milieu protecteur et complaisant, qu’il soit dans le milieu artistique, sportif… »
Emmanuelle Piet, présidente du Collectif féministe contre le viol (CFCV)
Judith Godrèche témoigne dans Le Monde, de son expérience à 14 ans lors d’un casting où elle a été introduite à Benoit Jacquot. Elle a ensuite voyagé seule au Portugal pour le tournage du film « Les Mendiants ». Plus tard, encore mineure, elle quitte l’école pour vivre avec le cinéaste en se trouvant totalement isolée de toute vie sociale.
La présidente du CFCV, Emmanuelle Piet, précise que l’agresseur crée une bulle d’impunité autour de lui. Il évolue souvent dans un contexte protecteur et complice, qu’il soit appartenu aux milieux artistiques, sportifs ou autres. Dans une interview en 2011 avec le psychanalyste Gérard Miller, Benoît Jacquot avait admis que « le cinéma était une sorte d’excuse » pour les pratiques de ce genre. Pour la responsable de l’Observatoire des violences faites aux femmes, la différence d’âge, le prestige et l’écart de pouvoir entre l’adulte et l’enfant contribuent à rendre difficile le refus de la part de la victime.
Un prédateur qui alterne entre la douceur et le mépris
Depuis la mise en application de la loi Billon en avril 2021, inspirée par le récit de Vanessa Springora, une relation sexuelle avec un mineur de moins de 15 ans est considérée comme un viol. Selon Ernestine Ronai, le prédateur use de manipulations psychologiques en couvrant la victime de flatteries, pour ensuite la rabaisser, alternant entre la douceur et la cruauté.
Emmanuelle Piet, également manager du service téléphonique « Viols femmes informations », ajoute que la victime vit souvent dans la crainte : crainte d’être marginalisée, de se retrouver seule, de perdre ses chances professionnelles ou même d’être agressée physiquement. L’actrice Judith Godrèche témoigne que « la dernière année est devenue un enfer absolu, il est violent, il me frappe ».
« Ce témoignage a beaucoup de poids et peut aider d’autres personnes à comprendre ce qu’elles vivent »
Ernestine Ronai, responsable de l’Observatoire des violences faites aux femmes
Dans Le Monde, Benoit Jacquot affirme avoir été « très amoureux » et « happé par elle ». Il indique, non sans ironie, qu’il a été « sous son emprise pendant six ans ». Selon Ernestine Ronai, la situation est compliquée pour les victimes car « l’agresseur inverse la culpabilité, lui dit qu’elle l’a cherché, qu’elle l’a séduit ».
Ernestine Ronai conclut en disant que « Judith Godrèche évoque clairement ces mécanismes. C’est un témoignage précieux qui peut aider les victimes à comprendre ce qu’elles ont vécu et à identifier qu’il s’agit d’un viol pour lequel elles ne sont pas à blâmer ». Ces propos viennent d’une ex-membre de la ciivise, la commission indépendante sur les abus sexuels sur mineurs.