Paolo Taviani s’est éteint en laissant une empreinte cinématographique inéluctable, réalisée en tandem avec son frère, centrée sur l’Italie de l’époque du Second conflit mondial, des classes défavorisées, ou encore sur le thème de la spiritualité. Redécouverte de cinq de ces œuvres.
Les frères Taviani se sont distingués dans le monde du cinéma en constituant une équipe exceptionnelle. Ils ont co-créé autour d’une quinzaine de films, s’inspirant principalement de la littérature italienne. Ils sont célèbres pour avoir créé des « films inoubliables, profonds, engagés« , selon les mots de Roberto Gualtieri, le maire de Rome, qui a annoncé le décès de Paolo Taviani à l’âge de 92 ans le 29 février. Examinons cinq des films les plus importants de sa carrière.
Le film « Padre Padrone » (1977)
Basé sur le livre autobiographique de Gavino Ledda intitulé « Padre Padrone : L’Éducation d’un berger sarde », le film se déroule en Sardaigne dans les années 1940 et a remporté la Palme d’or au Festival de Cannes en 1977. Il raconte l’histoire de Gavino, un petit garçon de 5 ans qui est forcé de quitter l’école après seulement deux mois pour aider son père berger à garder les bêtes. Vivant dans l’isolement, loin de la société, il finit par échapper au contrôle de son père grâce au service militaire, à l’âge de 21 ans.
L’adaptation montre comment Gavino parvient à établir un contact complet avec la société. Il apprend à lire, ce qui a un profond impact sur lui. Gavino réussit à surmonter la résistance de son père. Lorsque Gavino Ledda, à qui fut présenté en priorité le film, a vu la scène où le père, après avoir frappé son fils, l’étreint tandis qu’un chant sarde de supplication douloureuse résonne sur la bande-son, il n’a pu retenir ses larmes.
« La Nuit de San Lorenzo » (1982)
Ce film a remporté le Grand Prix au Festival de Cannes en 1982. L’intrigue suit de près celle du premier film réalisé par Paolo et Vittorio Taviani, un documentaire de 44 minutes intitulé « San Miniato luglio » (1954). Il s’agissait d’une reconstitution du massacre perpétré par les nazis dans la cathédrale de leur ville natale, San Miniato, en juillet 1944. Cet événement traumatisant a été le sujet de leur première réalisation et a également inspiré « La Nuit de San Lorenzo ».
Dans ce film, une femme évoque une nuit de la Saint-Laurent pendant les derniers jours de la Seconde Guerre mondiale. Les Allemands reculent et veulent détruire un village pour ralentir l’avancée des Alliés et des partisans. Un groupe d’habitants, guidé par Galvano, refuse de suivre les instructions de l’armée allemande et ne se rassemble pas dans la cathédrale.
Vittorio Taviani a expliqué que leur intention n’était pas de relater fidèlement les événements tels qu’ils se sont produits, mais plutôt de montrer comment ces événements ont été transformés dans la conscience des survivants et dans l’imagination collective.
« Kaos » (1984)
Basé sur cinq nouvelles de Luigi Pirandello intitulées « Nouvelles pour une année », le film « Kaos » tire son nom d’un village sicilien proche d’Agrigente. Les histoires sont liées par un corbeau noir survolant la Sicile avec une clochette autour du cou, servent de lien entre chaque séquence.
La première histoire, « L’Autre fils », raconte la rancœur qu’une mère – jouée par Margarita Lozano – nourrit envers l’un de ses fils, dont l’apparence physique rappelle intensément l’homme qui l’a violée. « Le Mal de lune » décrit les sentiments d’amour, d’inquiétude et de désir d’une jeune mariée, Sidora, face à la maladie mystérieuse de son mari Batà, qui se montre d’une violence incontrôlable lors des nuits de pleine lune. Dans « Requiem », des paysans luttent contre les administrateurs bourgeois de la ville voisine, Ragusa, pour pouvoir enterrer leur patriarche sur leurs terres natales de Margari, et non dans le cimetière de la lointaine agglomération. Enfin, dans l’épilogue « Entretien avec la mère », Pirandello discute avec le spectre de sa mère d’une histoire qu’il a voulu écrire, mais qu’il n’a pas réussi à réaliser, faute de trouver les mots.
Le film, peu diffusé, a longtemps été entouré de mystère et est devenu mythique pour son public. La version DVD du film sortie en 2006 a permis de reconstituer l’intégralité du film et d’intégrer une histoire manquante, « La Jarre ». Les frères Taviani ont été séduits par la version de Pirandello la plus poétique et la plus populaire.
« César doit mourir » (2012)
Réalisé comme une docufiction et joué par des détenus sous la direction de Fabio Cavalli, le film est en partie en noir et blanc. Il a remporté l’Ours d’or du meilleur film à la Berlinale de 2012. Il s’agit d’une adaptation de « Jules César » de William Shakespeare, tournée avec des détenus d’un secteur de haute sécurité de la prison de Rebibbia, à Rome.
Les acteurs incarnent simultanément leur propre personnage et celui de la pièce de théâtre. Le film met en avant le processus de réinsertion et la vie en prison, tout en montrant le travail et les coulisses de la pièce de théâtre. Les frères Taviani ont déclaré : « Avec gratitude envers Shakespeare (…) nous avons fait notre la pièce de Jules César, nous l’avons déconstruite puis reconstruite ».
« Une affaire personnelle » (2017)
Adapté du récit du même nom de Beppe Fenoglio, « Una questione privata » se déroule pendant la Résistance italienne dans les montagnes de la province de Coni (Piémont) en 1944. Milton, un jeune étudiant devenu résistant, parcoure lors d’une mission la résidence autrefois occupée par Fulvia, une jeune fille turinoise déplacée à Alba, dont il est follement amoureux. Durant la réalisation du film, Vittorio Taviani était malade et n’a pas pu participer au tournage. Il est décédé en avril 2018.