Cela fait maintenant une semaine que le metteur en scène exprime ouvertement son ressentiment envers l’un des protagonistes majeurs de son film emblématique « La Haine ». Sur les médias sociaux et dans la presse, il se déchaîne, allant jusqu’à proposer un face à face sur un ring, preuve que le conflit entre ces deux individus est loin d’être récent.
« J’ai le désir de lui asséner un coup de poing dans la bouche. » C’est ce qu’a exprimé Mathieu Kassovitz, détendu, le jeudi 7 mars. Et il fait une comparaison : « Je suis comme le Docteur Frankenstein, qui a fait naître un monstre. Et tôt ou tard, on devra le démanteler et il devra arrêter de parler », dit-il avec son franc-parler légendaire, lors d’un entretien avec 42mag.fr, où il discute de sa querelle avec l’acteur Saïd Taghmaoui, l’un des protagonistes majeurs de son film culte La Haine, considéré comme un classique du cinéma français. Au cours de la semaine, Kassovitz a progressivement dévoilé cette mésentente par le biais de quatre vidéos partagées en cinq jours sur son compte Instagram. Il a même été jusqu’à dares ses vidéos à offrir un duel de boxe à Taghmaoui, selon les règles de la boxe anglaise, en trois rounds de trois minutes chacun.
« Je vais te casser toutes tes dents. Même ta laque pour cheveux reviendra dans son flacon. Je pourrai montrer à tout le monde à quel point tu es un imposteur et à quel point tu es sans substance. (…) Je vais faire face à trente ans d’insultes », déclare avec véhémence l’acteur de la série Le Bureau des légendes dans la première vidéo publiée. Avant de passer à l’action, 42mag.fr tente de synthétiser l’histoire derrière ce nouvel affrontement entre les deux hommes.
Des animosités en relation avec « La Haine »
« Jusqu’à présent, tout va bien. Cependant, ce qui importe, ce n’est pas la chute, mais l’atterrissage », affirme le personnage d’Hubert dans La Haine. Près de trois décennies après la diffusion du film, le 31 mai 1995, il est malaisé de prédire l’issue du conflit entre Mathieu Kassovitz et Saïd Taghmaoui. « Saïd raconte des absurdités. Il affirme qu’il a écrit le scénario, qu je suis un raciste et que je profite de l’argent », liste Kassovitz.
A plusieurs reprises au fil des années, Saïd Taghmaoui a exprimé des regrets montrant que la production de La Haine a catalysé les carrières de Kassovitz et Vincent Cassel, mais que le cinéma français l’a ignoré, tout comme l’a d’ailleurs été Hubert Koundé, en raison de sa « race ».
« Le cinéma français ne montre pas l’audace du cinéma américain, il perpétue un racisme banal où sont cantonnés les acteurs noirs ou arabes dans des rôles bien définis. »
Saïd Taghmaouidans son livre « De La Haine à Hollywood »
Dans son autobiographie intitulée De La Haine à Hollywood, Taghmaoui laisse entrevoir des liens existants entre lui-même et l’acteur « Les sentiments d’amitié commencent à se défaire entre Vincent, Mathieu et moi. En raison du film, Vincent enchaîne les rôles et progressivement, il s’éloigne de moi, prend ses distances et commence à se montrer froid », rédige notamment l’acteur, qui vit désormais aux Etats-Unis.
Mathieu Kassovitz retrouve rapidement Vincent Cassel pour Les Rivières Pourpres, qu’il dirige, mais ne collabore plus avec Saïd Taghmaoui. « J’aime Saïd », a révélé avec émotion le réalisateur sur Canal+ le jeudi. Il concède : Il a fait partie de ma vie dans ma jeunesse, c’était un type formidabble, avec une énergie contagieuse. Et puis il s’est « détourné ». Depuis des années, j’ai des centaines de ses messages très offensifs, il me menace, m’insulte », reconnaît également Kassovitz auprès de 42mag.fr.
Une dispute quant à la rédaction des dialogues
Saïd Taghmaoui considère qu’il a eu un rôle déterminant dans l’adaptation des dialogues de La Haine. « J’ai travaillé à rendre les dialogues et les situations décrites par Mathieu plus authentiques, plus en accord avec ce que j’ai vécu dans ma cité », exprime Taghmaoui dans son livre. « Je peux détecter les erreurs, quand ça correspond ou pas à la réalité, car moi, c’est ma vérité. (…) J’ai réécrit des dialogues, des scripts et des situations, ce qui constitue en fait un apport capital, parce que les dialogues les plus marquants ou les plus mémorables sont inspirés de ma vie, de mon quartier, de ma propre réalité », déclare-t-il dans une interview sur YouTube en 2021. Il précise notamment qu’il aurait souhaité être reconnu comme co-scénariste. « Je n’attendais pas de rétribution financière, je souhaitais simplement être reconnu car c’était un phénomène et ça aurait pu m’aider dans d’autres projets. Mais l’autre [Mathieu Kassovitz] voulait faire cavalier seul, il nous a un peu manipulés. »
« La Haine, c’est mon film aussi, que tu le veuilles ou non. (…) J’ai participé à l’écriture et à la création. »
Saïd Taghmaouisur YouTube
C’est une pratique courante dans les films : parfois, lors du tournage d’une scène, vous la modifiez parce qu’un acteur pense qu’en ajoutant un mot, la réplique sera meilleure. Saïd, tout comme Hubert ou Vincent, ont pu suggérer ce genre de choses, mais cela n’en fait pas des scénaristes », précise à 42mag.fr Farid Benlagha, le producteur de la comédie musicale La Haine, prévue pour sortir à l’automne. Il pense qu’il l’a écrite parce que j’ai sollicité son avis sur une scène. Légalement, ce n’est pas son droit, répond également à 42mag.fr Kassovitz. J’ai déjà envoyé des avocats, il n’a pas écouté. Maintenant, ça va se régler entre hommes ».
Une affaire d’argent
Pour les 25 ans de La Haine, en 2020, une exposition a été organisée au Palais de Tokyo à Paris. » Ni Hubert ni moi n’avons été invités », s’offusque Taghmaoui sur YouTube. Il ajoute : « Tu tiens à garder tout pour toi. C’est indécent de révéler combien j’ai gagné sur ce film ». Il parle également des profits liés à la sortie du film en version 4K à l’occasion de cet anniversaire. « Vingt-cinq ans plus tard, on n’a pratiquement rien gagné », affirme-t-il. Selon lui, Mathieu Kassovitz contrôle 20% des revenus générés par le film, ce qui constituerait sa principale source de revenus professionnels. Taghmaoui a refusé que son image soit utilisée dans des produits dérivés lors de cet anniversaire. « Tu te rends compte qu’ils vont générer des millions grâce à la diffusion d’un film, ils ont même créé une collection avec Reebok. Mais où est passé tout cet argent ? »
« Saïd avait conclu un contrat en tant qu’acteur du film et il a été payé à ce titre à l’époque. Les droits appartiennent au scénariste et au réalisateur, c’est-à-dire à Mathieu Kassovitz », clarifie Farid Benlagha. Il y a des fantasmes derrière tout cela, à savoir que Mathieu fait des millions avec ce film, ce qui n’est pas le cas. Il n’a jamais accepté de gagner de l’argent avec la brand, il a refusé diverses offres pour une suite à La Haine ou pour en faire une série. Pour le projet de comédie musicale, il ne m’a jamais parlé d’argent. Il n’y attache pas d’importance. »
La commercialisation de tee-shirts « collector »
Pourquoi Mathieu Kassovitz est-il soudainement devenu si virulent sur les réseaux sociaux ? Le déclencheur semble être la publication, fin février, de stories Instagram de Saïd Taghmaoui sur un compte destiné à soutenir un orphelinat à Essaouira, au Maroc. Les vidéos, qui sont maintenant introuvables, mais que 42mag.fr a pu consulter, promeuvaient des produits dérivés « collecteur » de La Haine (pulls et tee-shirts).
« Je ne peux pas laisser passer ça avec ces faux tee-shirts. »
Mathieu Kassovitzsur Instagram
« Tu sors soudainement un vieux carton de tee-shirts ‘collector’ qui sont aussi ‘collecteur’ que les tee-shirts vendus aux portes de Saint-Ouen. (…) Je te propose d’acheter tous tes tee-shirts pour 5 000 euros », réplique le réalisateur sur Instagram. « Cela a été un peu la goutte d’eau pour Mathieu », synthétise le producteur Farid Benlagha.
Le lancement d’une comédie musicale
Le timing de ces échanges vifs coïncide avec la sortie de la comédie musicale La Haine : jusqu’ici rien n’a changé, prévue à l’automne prochain. Cette version scénarisée par Mathieu Kassovitz a suscité les inquiétudes de Saïd Taghmaoui concernant l’utilisation de son image. Selon nos sources, dès novembre, l’avocate de l’acteur a transmis une mise en demeure à Mathieu Kassovitz pour protéger le droit à l’image de son client. Saïd Taghmaoui craint notamment que des scènes du film soient projetées sur scène, du même manière que cela a été fait pour annoncer la sortie du spectacle.
Une nouvelle mise en demeure a été envoyée mardi à Mathieu Kassovitz, lui rappelant de ne pas utiliser l’image de Saïd Taghmaoui et lui demandant de retirer les vidéos récentes publiées sur Instagram. « Il m’a envoyé ses avocats, il veut me poursuivre pour diffamation », a réagi le réalisateur dans une autre vidéo.
Certains observateurs se demandent donc si toute cette polémique ne serait pas liée à une opération de communication visant à faire parler de la comédie musicale. « C’est une dispute qui se joue en public et qui prend en otage les fans de ce fabuleux film », estime Hubert Koundé, l’un des trois acteurs principaux de La Haine, tandis que Farid Benlagha, le producteur du spectacle, réfute cette idée : « Ce n’est pas du tout l’objectif. C’est une affaire personnelle, avec un homme [Mathieu Kassovitz] qui a du mal à digérer une situation qui dure depuis des années. Preuve en est : ma responsable des relations publiques m’a appelé paniquée lorsque Mathieu a publié sa vidéo. »