Vendredi, la chef de la Chambre basse, Yaël Braun-Pivet, a relancé le débat sur l’imposition des gains exorbitants. Cependant, pour le dirigeant de France Industrie, Alexandre Saubot, « les bénéfices subissent déjà des prélèvements fiscaux ».
La présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, a exigé vendredi 22 mars d’entamer une réflexion approfondie sur une contribution extraordinaire des grandes entreprises dans les cas de superprofits ou de superdividendes. Par contre, le ministre de l’Economie et des Finances, Bruno Le Maire, maintient que les impôts ne subiront pas d’augmentation en France. Il envisage, en tant que possibilité, une taxation des plus riches exclusivement à niveau européen ou mondial. Alexandre Saubot, le président de France Industrie, fait remarquer à 42mag.fr ce vendredi que la France affronte beaucoup de défis. Elle a le plus haut taux de prélèvements obligatoires mondialement dans une économie ouverte. France Industrie représente 50 grandes entreprises tant privées que publiques des secteurs industriels ainsi que 31 fédérations.
Les États membres de l’UE ont accepté, le vendredi 15 mars, une règlementation sur l’obligation de vigilance. Cela incite les grandes entreprises à assumer la responsabilité juridique des violations des droits humains, sociaux et des préjudices écologiques, notamment concernant leurs fournisseurs et filiales. Le Parlement européen doit prendre une position sur le texte en mi-avril. Le patronat combat contre ce texte, dont France Industrie.
franceinfo : Premièrement, quelle est votre opinion sur la taxation des superprofits ?
Alexandre Saubot : Je crois que la France fait face à de nombreux défis. Elle a le taux de prélèvements obligatoires le plus élevé du monde, dans une économie ouverte. Donc, selon moi, cela devrait être évident pour tout le monde que les problèmes du pays ne seront pas résolus en augmentant les impôts. Aussi, nous avons la plus grande redistribution, avec la réduction des inégalités la plus élevée. Donc actuellement, l’enjeu du pays, c’est : comment est-ce qu’on génère plus de richesse ? Comment est-ce qu’on implique notre tissu économique, nos collaborateurs ? Comment est-ce que le gouvernement simplifie notre environnement pour relever les défis du pays sur l’emploi, sur les finances publiques, sur la décarbonation ?
Des entreprises de votre secteur font en 2023 des profits records, qui ont été récemment divulgués.
C’est une très bonne nouvelle. L’État s’approprie 25% de ce que les entreprises françaises gagnent. Je pense que l’impôt sur les sociétés a grandement augmenté ces dernières années, donc les profits sont déjà taxés. Je suis informé que dans le secteur de l’énergie, il y a des dispositions spécifiques. Je pense que l’idée sous-jacente de ces dispositions, c’est que les producteurs d’énergie sont protégés lorsque le coût de l’électricité chute de manière significative, pour éviter que les investissements, notamment dans le renouvelable qu’ils ont fait, ne soient pas rentables et pour encourager les gens à investir. Et par corollaire, c’est que lors du tarif grimpe, il restitue tout ou partie de ce qui dépasse. Ces dispositifs fonctionnent à mon avis, après dans quelles conditions exactement ? Je ne suis pas le plus grand expert de ce sujet technique.
Pourquoi êtes-vous en désaccord avec la directive européenne sur l’obligation de vigilance ?
Il y a un consensus sur les objectifs. Le problème, c’est comment atteindre ces objectifs. Aussi, nous parlons ici de grandes entreprises. Cela englobe même jusqu’à mille. Je suis privilégié de diriger une entreprise de deux mille employés. Je ne me suis jamais considéré comme une grande entreprise.
« Ce qui nous est demandé par ce texte, pour la majorité des entreprises qui doivent s’y conformer, est juste impossible à respecter. »
Alexandre Saubotfranceinfo
Des dizaines de milliers de références, des milliers de fournisseurs, des chaînes de production qui ne sont pas limitées dans leur profondeur.
Il n’est tout simplement pas faisable. Encore une fois, le texte français qui existait déjà, et qui posait déjà un certain nombre de problèmes, ne traitait que les entreprises de plus de 5 000 employés. Et même quand vous les interrogez, elles avaient déjà des difficultés. Mais imaginer qu’une entreprise comme la nôtre, qui a 500 fournisseurs qui achètent plus de 17 000 composants différents, a la capacité de les surveiller dans des conditions raisonnables et avec un niveau de sécurité et de confiance suffisants est juste totalement irréalisable. Ce n’est pas comme ça qu’il faut approcher le problème.
Comment doit-on s’adapter à ces défis ?
Nous devons continuer à affirmer nos objectifs. Les entreprises, chaque fois qu’elles peuvent, s’interrogent sur leur choix de partenariat, sur quel fournisseur privilégier. Mais ce type de réglementation doit être un, perçu à l’aune de ce que les entreprises sont capables de faire. Deuxième point, il n’est pas juste d’être la seule région du monde qui va faire courir un risque juridique à ces entreprises, lorsque les entreprises américaines ou chinoises ne sont pas exposées à la même chose. Alors que la souveraineté est un enjeu majeur qui a été réaffirmé lors de la déclaration d’Anvers et avec le soutien à madame Von der Leyen.
« Il n’est pas logique de mettre en place une disposition de ce type, lorsque l’objectif est de produire davantage en Europe. »
Alexandre Saubotfranceinfo
Qu’êtes-vous prêts à faire ?
Nous faisons déjà beaucoup. Nous choisissons avec soin nos fournisseurs, nous effectuons certaines vérifications. Cela dit, l’idée que nous pouvons aller jusqu’au bout de la profondeur des chaînes de production pour des entreprises de la taille de la nôtre n’est tout simplement pas réaliste, cela ne fonctionnera pas.
Est-ce une question de compétitivité ?
C’est une question de risque juridique, de compétitivité, de capacité d’exécution. Encore une fois, peut-être que nous arriverons sur les sujets environnementaux, mais la meilleure façon de réduire le carbone dans le monde, c’est de produire davantage en Europe. Et en Europe, c’est de produire autant que possible en France, car nous avons le point de PIB le plus décarboné du monde, l’énergie la plus décarbonée de tous les grands pays européens. Donc, plus nous produisons en France, plus nous contribuons à la protection de la planète. Donc, prendre des dispositions qui, par leur complexité, leur applicabilité et leur coût, découragent les gens de faire exactement ce qu’il faut faire pour protéger la planète, cela n’a aucun sens.
Est-ce possible pour la France de se réindustrialiser ? Avez-vous détecté un changement de politique sur ces questions ?
Je pense que depuis le milieu de la décennie précédente, avec le rapport de Louis Gallois, il y a eu une prise de conscience qu si la France n’arrêtait pas cette désindustrialisation, elle allait vers une ruine collective. Nous allions nous retrouver avec une balance commerciale, une création de richesse et une situation précaire. Et l’affaiblissement de la France, on ne peut pas toujours le financer par une dette supplémentaire. C’est pour cela qu’il y a eu changement d’état d’esprit. Ensuite, comme toujours dans l’industrie, c’est le long terme. Donc quand on prend des décisions, cela met du temps à produire des résultats. Sur la période 2000-2015, on a éliminé entre 50 et 100 000 emplois par an dans l’industrie.
« Depuis 2017, en cinq ans, nous avons créé 100 000 emplois. Certes, 100 000 emplois en cinq ans ce n’est pas énorme, mais par rapport à la trajectoire précédente, c’est une forte inflexion. »
Alexandre Saubotfranceinfo
Aujourd’hui, ma principale inquiétude est de voir cette dynamique bloquée et cette trajectoire, qui doit se poursuivre pendant les quinze prochaines années si nous voulons y arriver, interrompue ou fragilisée.
Que devons-nous faire pour éviter cela ?
Il faut continuer à soutenir nos entreprises. Il faut continuer à leur simplifier la vie. Il faut continuer à les écouter. Quand ils disent qu’une réglementation n’est pas applicable, il faut les écouter. Quand ils disent que le Mécanisme d’Ajustement Carbone aux Frontières (MACF) fait courir plus de risques qu’il règle davantage. Il faut les écouter quand ils disent que le zéro artificialisation net va faire peser un risque sur le développement de certaines entreprises, dans certains sites. Si la priorité, c’est la réindustrialisation, il faut mettre tous nos actes en cohérence avec l’objectif stratégique, que je crois que tout le monde partage.