« La Partie de l’échiquier », « Le Nautique des pics » et récemment « Auberge Destino », en compétition pour le prestigieux prix de la Palme d’or lors de la 77e édition du Festival de Cannes : ces derniers temps, il est impossible d’ignorer Karim Aïnouz sur les plateformes cinématographiques françaises. Discussion.
Sorti le 17 avril, le film documentaire Marin des montagnes est une exploration de l’Algérie, le pays natal du père du réalisateur Karim Aïnouz. Le film est un hommage à la mère disparue du cinéaste et marque sa première visite en Algérie en 2019. Aïnouz, un réalisateur brésilien, est également connu pour sa fiction à venir, Motel Destino, qui sera présentée au prochain Festival de Cannes. 42mag.fr Culture a rencontré Aïnouz pour discuter de Marin des montagnes.
Franceinfo Culture : Auriez-vous visité l’Algérie si votre mère était encore en vie ?
Selon Aïnouz, sa mère avait toujours souhaité visiter l’Algérie, mais n’avait jamais eu l’occasion de le faire, d’autant plus que son père ne l’y avait jamais invitée. Les obstacles financiers, politiques et pratiques ont toujours été un frein pour elle. En outre, elle avait toujours envisagé de faire ce voyage en compagnie de son fils. Si Aïnouz avait visité l’Algérie seul, cela aurait été perçu comme une trahison par sa mère. Après tout, elle a vécu séparée de son mari dans une société brésilienne conservatrice des années 1960. Cependant, si elle avait fait le voyage avec son fils, le film n’aurait pas vu le jour. Après le départ de sa mère, Aïnouz a senti que ce voyage était une forme de réparation pour elle, et c’est de là qu’est né le film.
Pourquoi avez-vous choisi de structurer le film comme une lettre à votre mère ?
Aïnouz explique que le film est construit autour de l’absence de son père, illustrée par les lettres jamais lues qu’il a envoyées à sa mère. Pour le réalisateur, le cinéma est une forme de journal intime visuel. Les lettres sont un moyen d’exprimer des émotions et des souvenirs avec la caméra.
Votre film est saturé de rouge. Avez-vous une obsession pour cette couleur ?
Pour Aïnouz, la couleur est comme le sang, représentant la vitalité de la vie. En raison de problèmes oculaires héréditaires, Aïnouz photographie et filme en partie pour préserver ses souvenirs. Son film, Marin des montagnes, a été inspiré par les diapositives colorées de ses parents qu’il a retrouvées.
Qu’est-ce qui vous a poussé à vous enfoncer dans l’inconnu en Algérie ?
L’élection du président brésilien controversé [Jaïr Bolsonaro] en 2018 et le mouvement de protestation historique, le Hirak, qui a éclaté en Algérie l’année suivante, ont ouvert à Aïnouz la possibilité d’explorer la révolution algérienne. En visitant la terre natale de son père, Tagmut Azuz, Aïnouz a pu tracer ses propres racines jusqu’à la révolution. Bien qu’il ait senti une familiarité physique avec le pays, il n’y a senti aucune connexion psychologique en raison de son manque de liens avec l’Algérie. Cependant, le voyage lui a permis de s’identifier en tant qu’Algérien.
Pensez-vous travailler davantage sur l’Algérie à l’avenir ?
Aïnouz exprime son intérêt pour le développement de projets en Algérie et en Afrique, particulièrement en rapport avec des histoires invisibilisées. Il travaille actuellement sur un projet de science-fiction sur les essais nucléaires français en Algérie et envisage aussi de faire un film sur le festival panafricain de 1969.
Votre travail est souvent centré sur les femmes. Pourquoi ce choix ?
Aïnouz a passé beaucoup de temps avec des femmes en grandissant et se sent donc plus à l’aise pour aborder des personnages féminins. Cependant, il reconnaît également l’importance de comprendre les hommes pour bien comprendre les femmes. Son travail a récemment commencé à s’intéresser à des personnages masculins, en particulier à des figures toxiques et dominantes.
Pouvez-vous nous parler de « Motel Destino », votre prochain film qui sera présenté à Cannes ?
Motel Destino, selon Aïnouz, est un film sensuel et vital qui explore une histoire d’amour entre un jeune homme afro-indien et une femme plus âgée. Le film a été produit grâce à la participation d’étudiants d’une école de scénarisation que Aïnouz a fondée à Fortaleza. Le cinéaste voit le film comme une chance de partager ses connaissances et son expérience avec la prochaine génération de cinéastes brésiliens.
Quelle est votre relation avec le Festival de Cannes ?
Le Festival de Cannes a toujours été un repère important dans la carrière de Karim Aïnouz. Il considère le festival comme une plateforme crucial pour les films internationaux et une occasion de partager des expériences avec des cinéastes du monde entier.
Quel est l’état du cinéma brésilien actuellement ?
La situation du cinéma brésilien est instable, tout comme la situation politique du pays. Néanmoins, Aïnouz est optimiste quant à l’avenir du cinéma brésilien grâce à la représentation du Brésil à Cannes cette année.