La comédienne Juliette Binoche se remémore ses premiers pas dans le métier et partage les divers obstacles qu’elle a dû surmonter lors des tournages et des auditions.
Dans un entretien détaillé paru dans le quotidien Libération le vendredi 26 avril (article payant), Juliette Binoche évoque le parcours parsemé de moments inconfortables, voire « humiliants », d’agressions et parfois même de maltraitance qu’il lui a fallu affronter avant de finalement réussir à s’opposer fermement à cela.
« Repenser au passé sans anachronisme, à l’aune de la révolution #MeToo: telle était l’ambition de cette discussion avec Libération », a-t-il été précisé lors de l’introduction de l’interview par le journaliste. Juliette Binoche « a relu et affiné l’entretien pour clarifier certaines expressions ou détails ».
L’actrice retrace en détails certaines situations, mentionnant des noms, dont celui du réalisateur Pascal Kané. « Il m’a invitée à diner à l’hôtel Nikko, au sommet d’une tour, pour discuter, m’avait-il dit, d’un projet différent. Tandis qu’il m’indiquait la vue sur les quais de Seine, il a essayé de m’embrasser brusquement. Je l’ai fermement repoussé », se rappelle Juliette Binoche, alors jeune actrice débutante.
« Je n’ai pas toujours été en mesure de protéger mes collègues »
« J’étais complètement stupéfaite. J’avais une certaine vigilance due à une expérience précédente lorsqu’un enseignant m’avait touchée à l’âge de 7 ans alors qu’il m’enseignait la lecture en me caressant au-dessous de la ceinture derrière son bureau, en plein devant la classe », ajoute-t-elle.
Elle parle aussi du tournage de L’Insoutenable Légèreté de l’Être. « Sur ce film, le réalisateur a fait irruption dans ma caravane avec l’intention de me peloter. Je l’ai repoussé, il n’a pas réitéré. Lena Olin, qui jouait l’autre rôle féminin, m’a ensuite dit qu’elle avait subi les mêmes tentatives ».
« Je n’ai pas toujours réussi à protéger mes collègues », admet l’actrice, se rappelant de quelques incidents qu’elle a pu observer au fil de sa carrière. « Avec le recul, j’ai réalisé, de manière à peine perceptible, qu’une figurante était victime de viol par un acteur lors du tournage des Enfants du siècle, pendant une scène d’opium dans une maison close. J’ai vu cette jeune femme partir, hagarde, une fois le tournage terminé, comme si elle avait été frappée. J’étais furieuse. Cet acteur est maintenant décédé. »
« Il était rare d’avoir un scénario sans une scène de nu ».
Juliette Binoche se souvient des années 80-90 où la nudité était souvent requise, autant lors des auditions que sur les plateaux de tournage. « Je ne pouvais pas totalement ignorer que cette obsession pour les nus au cinéma dans les années 80-90 ne concernait principalement que les jeunes actrices, rarement les acteurs, sauf chez des réalisateurs comme Chéreau et plus tard Téchiné. Cela ne me provoquait pas de rébellion, j’adoptais une attitude patiente face à cette exigence. Il était rare d’avoir un scénario sans une scène de nu ».
Avec le temps et après certaines expériences particulièrement éprouvantes, l’actrice apprend à définir ses limites. « Il m’a fallu beaucoup de temps pour comprendre que je pouvais exiger un plateau fermé lorsque les scènes le nécessitaient. Ou remettre en question la nécessité d’une scène de nu dans un scénario ».
Outre les agressions sexuelles, l’actrice fait mention d’une ambiance de mauvais traitement sur les plateaux de tournage, racontant comment elle a presque failli se noyer lors du tournage des Amants du Pont Neuf, réalisé par Léos Carax. « Ce jour-là, mes limites, jusque-là peu définies, sont soudainement devenues claires ».
« Je me sentais membre d’une élite »
« Lorsqu’une jeune actrice, en pleine évolution, s’investit à fond dans un rôle, elle cherche l’approbation de son réalisateur. Elle se donne entièrement à lui, à elle-même, au monde. Cette demande de la jeune actrice ne donne-t-elle pas l’impression au cinéaste que tout lui appartient ? » s’interroge Juliette Binoche.
« J’ai idéalisé la figure du réalisateur et soutenu les cinéastes auteurs indépendants. Avec une certaine docilité que j’associais à une forme de protection. Je me sentais membre d’une élite, approchant au plus près un art nouveau et vibrant » observe-t-elle.
« J’ai dû apprendre à dire non, à reconnaitre ce que je devais laisser derrière moi », insiste l’actrice, qui se dit « soulagée de voir et d’entendre des hommes et des femmes s’exprimer courageusement sur les abus qu’ils ont subis. Il n’est pas aisé de révéler sa vie intime, et nous devrions tous leur être reconnaissants ».