Dans une œuvre cinématographique forte et captivante, Boris Lojkine dépeint quarante-huit heures dans l’existence d’un immigrant illégal originaire de la Guinée. C’est un voyage sans respiration qui met en lumière les migrants. Proposé dans la section Un certain regard, le film a été honoré du prix du jury ainsi que du prix d’interprétation masculine pour Abou Sangare.
Traversant inlassablement une cité parisienne effervescente, Souleymane est un parmi ces coursiers à bicyclette qu’on aperçoit souvent dans les grandes métropoles françaises. Leur signe distinctif est le sac isotherme vibrant de couleurs qu’ils transportent sur leurs porte-bagages. Certains d’entre eux, comme Souleymane, sont en situation irrégulière. Paris est pour ces migrants une cité étrangère dont ils sont encore aux prises avec les codes.
La vie de Souleymane est un récit qu’il se raconte inlassablement, alors qu’il slalome à bicyclette à travers la ville, le même récit qu’il s’apprête à narrer à un agent de l’OFPRA (l’Office français de protection des réfugiés et apatrides) chargé d’examiner sa demande d’asile. Ce récit représente pour Souleymane sa dernière lueur d’espoir pour espérer sortir du tumulte qu’est sa vie, après avoir affronté le Sahara, les prisons libyennes et la traversée périlleuse de la Méditerranée.
L’interprétation bouleversante d’Abou Sangare
Souleymane chute, Souleymane subit des épreuves, Souleymane franchit les feux rouges, pas une minute à perdre. Poussant sa bicyclette à toute vitesse, il rentre dans une voiture. Il se relève, d’une politesse aimable. Il préfère éviter tout conflit. Sa vie tient littéralement à un fil.
La réussite du long-métrage de Boris Lojkine est grandement due à la performance remarquable d’Abou Sangare. Le jeune comédien de 23 ans incarne un Souleymane particulièrement intense et déchirant. Le jury de la sélection « Un certain regard », présidé par le cinéaste québécois Xavier Dolan, a été touché par ce jeu d’acteur poignant en attribuant le prix d’interprétation masculine à ce comédien non professionnel. Abou Sangare, dans la réalité, est également en situation irrégulière, il gagne sa vie en tant que mécanicien. C’est à travers une association à Amiens que Boris Lojkine, le réalisateur, et la directrice de casting, Aline Dalbis, ont fait sa connaissance.
Un suspense constant
Dès les premiers instants, L’Histoire de Souleymane nous plonge dans une tension constante. Le danger d’un dérapage est omniprésent. Un agent de police intrusif, un propriétaire de compte Uber sans conscience, une cliente insatisfaite, un bus qui ne prend pas le temps de l’attendre : autant de menaces à déjouer et d’obstacles à surmonter.
Seules les nuits passées au centre d’accueil d’urgence de Clignancourt apportent un peu de tranquillité. Un repas chaud, une douche réparatrice, un brin de lessive et d’éphémères moments de chaleur humaine.
La ville de Paris, mise en valeur par des couleurs vives, n’a pas été une toile de fond facile à capturer. « Filmer dans Paris a été plus complexe que de tourner à Bangui aux prémices d’une guerre civile« , confie le réalisateur Boris Lojkine, faisant référence à son précédent film Camille qui se déroule en République Centrafricaine. Pour davantage de réalisme, Lojkine a opté pour un dispositif minimaliste. Cinq ou six personnes sur le tournage. Aucun éclairage, aucun camion, aucune cantine. Les scènes à vélo ont été prises en direct depuis une bicyclette, au milieu du tumulte parisien.
Un film indispensable
L’Histoire de Souleymane, au plus près de la réalité des réfugiés sans papiers, est un thriller dramatique du réalisateur Boris Lojkine. Il dépeint le quotidien précaire de ces personnes pour qui le travail est interdit, rendant la jungle urbaine parisienne encore plus terrifiante pour ceux démunis de tout droit. Il évoque aussi la bravoure et la détermination nécessaires pour échapper à cette situation. Il y a une similitude avec le cinéma social de Ken Loach, cette façon de rendre visible ces citoyens invisibles et extrêmement vulnérables.
« Le film est exactement celui que je voulais réaliser, exprimait Boris Lojkine lors de la projection sur la Croisette, avant même de savoir que son film serait récompensé. « Nous n’avions pas beaucoup de moyens, mais une certaine sobriété s’en dégage. Si vous ne l’appréciez pas, c’est ma faute », a-t-il ajouté. Qu’on l’aime ou non, L’Histoire de Souleymane est un film nécessaire. Il donne un visage et une identité à toutes ces figures que l’on croise dans la rue sans vraiment les regarder.
Fiche technique
Genre : Drame
Réalisateur : Boris Lojkine
Acteurs : Abou Sangare, Nina Meurisse, Alpha Oumar Sow
Pays : France
Durée : 1h33
Sortie : 27 novembre 2024