« Je me projetais déjà en tête d’affiche », les mots de cette chanson décrivent parfaitement la trajectoire de carrière d’Aznavour en tant qu’acteur. Ses noms figurent dans les crédits de plus d’une cinquantaine de films datant de 1936 à 2006, sous la direction de cinéastes de renom tels que Duvivier, Mocky, Chabrol et Truffaut. À travers l’écrit de Philippe Rège, « Aznavour, un destin de cinéma », nous pouvons découvrir l’homme de théâtre qui se dissimulait derrière l’immense vocaliste qu’il était.
Tahar Rahim interprétera Charles Aznavour dans un film biographique réalisé par Mehdi Idir et Grand Corps Malade, prévu pour octobre 2024, qui marquera le centenaire de la naissance de l’artiste. Bien que les détails de l’histoire restent pour le moment secrets, on peut supposer que le parcours cinématographique du chanteur sera abordé compte tenu des nombreuses collaborations notables d’Aznavour avec le 7ème art. Ayant joué dans de nombreux films de grands réalisateurs du XXe siècle, Aznavour a su montrer son incroyable capacité à jongler entre les rôles de chanteur et d’acteur. Le livre « Aznavour, un destin de cinéma » de Philippe Rège, aux éditions Hugo Doc, explore ces histoires détaillées de la vie de l’acteur.
De l’exil à la carrière débutant dans l’enfance
Philippe Rège raconte dans son livre la trajectoire exceptionnelle de Charles Aznavourian sur 80 ans de cinéma. Nourri de films au Cinéac du faubourg Montmartre en étant un jeune arménien, Charles reçoit des leçons de la École des enfants du spectacle. Contrairement à de nombreux parents qui cherchent à écarter leurs enfants du monde de la scène, ses deux parents, baryton et comédienne, encouragent Charles et sa sœur à embrasser le milieu artistique. Charles, dont les parents sont des immigrants arméniens dont la carrière s’est violemment interrompue à cause de l’exil, les regarde avec admiration alors qu’ils gèrent une compagnie de théâtre amateur. Charles exprime son affection durable pour ces artistes non réalisés et révèle comment leurs sacrifices ont influencé sa propre vocation sur scène.
En novembre 1935, à l’âge de 11 ans, Charles fait ses débuts sur scène dans le spectacle « Margot » d’Édouard Bourdet à Marigny, mis en scène par Pierre Fresnay. Il passe inaperçu parmi le casting, mais il est présent sur une photographie du programme, spontanément révélée par Rège. Malgré un salaire modeste, il remet la majeure partie de ses gains à sa mère qui s’occupe de leurs finances.
Un chanteur adulé, mais un acteur discret
Aznavour admet s’être introduit discrètement dans le monde du cinéma par son rôle dans « La Tête contre les murs » de Georges Franju en 1957 qui le propulse parmi les grands. Comparé à Chaplin par France Roche pour son interprétation sincère et touchante, Aznavour attire ensuite l’attention de la Nouvelle Vague. Bien que Godard ait envisagé de casting Aznavour pour « À bout de souffle », ce sont finalement Belmondo qui finalise le rôle et qui entre dans l’histoire du cinéma.
Le deuxième grand réalisateur de la Nouvelle Vague, François Truffaut, est attiré par la vulnérabilité qui émane d’Aznavour en tant qu’acteur. Comparé à Jean Gabin, Aznavour est engagé pour le film « Tirez sur le pianiste », adapté du roman de David Goodis. Il incarne un veuf pianiste qui est confronté à de robustes gangsters, faisant écho au cinéma noir hollywoodien. Dans ce film, Aznavour joue un personnage timide, détruit par le suicide de sa femme, ce qui met en lumière tout son talent d’acteur pour dépeindre un personnage aussi profondément émouvant. Selon Philippe Rège, Aznavour représente l’alter ego adulte de Truffaut, tandis que Jean-Pierre Léaud est l’alter ego enfant du réalisateur.
Même si son physique et sa voix lui ont posé des obstacles pour réussir en tant que chanteur, ces mêmes critiques ne l’ont pas empêché de faire une carrière brillante au cinéma. Cependant, sa carrière de star mondiale ne lui a pas permis de continuer à travailler régulièrement avec d’autres réalisateurs.
Des films emblématiques et des échecs
Aznavour a su jongler entre le cinéma d’auteur, en étant une éminente figure de la Nouvelle Vague, et le cinéma commercial. Il a su développer son jeu d’acteur tout au long de sa carrière, passant d’un registre à l’autre avec une facilité déconcertante, comme l’évoque Philippe Rège. Robert Chazal, cité par Rège, souligne en 1966 dans « France-Soir » l’incroyable simplicité et le talent de l’acteur Aznavour à faire oublier son statut de Charles Aznavour lorsqu’il est sur scène.
Aznavour a souvent minimisé sa carrière d’acteur, se qualifiant lui-même d' »acteur intérimaire ». Il a ouvertement admis qu’il n’était pas fier de tous ses rôles et a déploré s’être lancé dans certains films de mauvaise qualité. Malgré tout, il a reconnu la contribution de réalisateurs tels que Duvivier, Franju, Mocky, René Clair, Claude Chabrol, et François Truffaut à sa filmographie, bien que celle-ci soit, de son propre aveu, chaotique. Cela pourrait cependant être de la fausse modestie, compte tenu du fait que beaucoup d’acteurs auraient rêvé de collaborer avec de tels réalisateurs.
Parmi les films notables de sa carrière figurent « Un taxi pour Tobrouk » avec Lino Ventura ou « Le Tambour » de Volker Schlöndorff. Cependant, il est aussi intéressant de noter les échecs qui parsèment sa carrière, comme « Folies bourgeoises » de Claude Chabrol, qualifié de « vaudeville déplorable » par Philippe Rège et de « film délibérément idiot » par Chabrol lui-même. Cependant, ce film a conduit à une nouvelle collaboration entre Chabrol et Aznavour six ans plus tard, avec « Le Fantôme du chapelier » où Michel Serrault est aussi présent. Pour conclure sur l’acteur Aznavour, Chabrol déclare : « Charles a une force formidable qui est très rare, c’est qu’il a les yeux les plus émouvants du cinéma international. »
« Aznavour, un destin de cinéma » par Philippe Rège est publié chez Éditions Hugo Doc, 220 pages, à 18,50 euros.
On retrouve un extrait du livre où l’auteur parle de la première pièce de théâtre de Charles Aznavour, « Arlequin magicien » de Jacques Copeau, où l’artiste joue le rôle principal. Malgré son jeune âge, il fait preuve d’une grande maturité et d’une connaissance des surprises que peut réserver une tournée. Après chaque représentation, Charles chante quelques chansons françaises bien connues. José Quaglio, un de ses compères, confirme les talents d’acteur d’Aznavour et souligne sa passion pour la musique. Il explique que ses compétences d’acteur sont palpables dans sa musique, son interprétation profonde des paroles s’apparente à une mise en scène de ces dernières. Le contrôle et la rigueur qu’Aznavour a appris au théâtre se reflètent dans sa musique et expliquent son succès dans le cinéma.