Le classement mondial de la liberté de la presse de cette année place la France à la 21e place sur 180 pays, soit une légère amélioration par rapport à 2023. Mais un rapport de Reporters sans frontières (RSF) prévient que le droit à l'information continue d'être menacé par un vide législatif qui donne aux autorités le pouvoir de pouvoir de poursuivre les journalistes qui ont révélé leurs sources.
En gagnant trois places, la France se classe parmi les pays en « assez bonne situation », indique RSF dans son classement annuel publié chaque année à l'occasion de la Journée mondiale de la liberté de la presse.
Mais ces progrès peuvent s'expliquer par une détérioration plus importante dans d'autres pays, estime Pavol Szalai, responsable de la région UE et Balkans de RSF.
« La France reste 14ème sur les 27 États membres de l’UE, ce qui n’est pas une très bonne position”, a déclaré Szalai à 42mag.fr, pointant un “bilan mitigé”.
Les lacunes du système français ont été mises en évidence en septembre de l'année dernière, lorsque la journaliste française Ariane Lavrilleux a été arrêtée pour avoir prétendument compromis des secrets de défense lors de révélations sur une opération militaire conjointe entre la France et l'Égypte.
Elle a été placée en garde à vue pendant 39 heures, fouillée et contrainte de révéler ses sources, suite à une plainte du ministère de la Défense.
Le dossier est toujours ouvert et, même si elle n’a pas été inculpée, elle a déclaré à 42mag.fr qu’elle « pourrait l’être à tout moment ».
Une loi « vague »
L'affaire Lavrilleux met en lumière un paradoxe dans la loi française sur la liberté de la presse.
Promulguée le 29 juillet 1881, la loi sur la liberté de la presse protège spécifiquement la confidentialité des sources.
Mais il a été modifié en 2010 pour stipuler que « la confidentialité des sources ne peut être violée, directement ou indirectement, à moins qu'il n'y ait un impératif impérieux dans l'intérêt public de le faire ».
La notion d'« impératif majeur » n'est pas définie. « C'est une notion très vague qui permet aux enquêteurs d'abuser de leur pouvoir », a déclaré Szalai à 42mag.fr.
Alors que l'amendement de 2010 était censé renforcer la protection des journalistes et de leurs sources, l'ajout de cette « phrase vague » marque « un énorme retour en arrière », estime l'avocat Benoît Huet.
« À tout moment, les journalistes s'exposent à ce que leurs sources soient violées. C'est sérieux», ajoute-t-il.
RSF demande que les mots « impératif majeur » soient supprimés de la loi et remplacés par une disposition plus limitée et précise qui assurera « une meilleure protection de la confidentialité des sources, pierre angulaire de la liberté de la presse », déclare Szalai.
Une législation européenne plus forte
En mars, le Parlement européen a adopté la loi sur la liberté des médias pour protéger les journalistes et les médias de l'UE contre toute ingérence politique ou économique.
Il comprend l'interdiction de l'utilisation de logiciels espions contre les journalistes, l'obligation de divulguer des informations sur la propriété des médias et des mécanismes pour empêcher les très grandes plateformes en ligne de restreindre arbitrairement la liberté de la presse.
Une enquête du site d'investigation Disclose a révélé que la France avait fait pression pour obtenir une dérogation autorisant la surveillance des journalistes au nom de la « sécurité nationale ».
La référence à la sécurité nationale a été supprimée dans la version finale, en partie à cause de la campagne menée par RSF.
Szalai affirme que le cadre européen supplémentaire et la loi contraignante, qui entreront prochainement en vigueur, « assureront une meilleure protection de la confidentialité des sources ».
Pendant ce temps, ici en France, un groupe de journalistes a récemment lancé l'Observatoire français des atteintes à la liberté de la presse (Ofalp) pour consigner toutes les attaques contre la presse. Lavrilleux a déclaré à 42mag.fr que cela reflétait « le sentiment largement répandu que le droit à l’information est de plus en plus menacé en France ».
L'idée est de rassembler suffisamment de preuves concrètes pour « lancer un débat en France, voire une lutte de pouvoir avec le gouvernement (…) pour changer les lois qui facilitent et encouragent les attaques contre les journalistes ».