Il n’est pas surprenant que le Rassemblement national (RN) de Marine Le Pen ait remporté les élections législatives européennes du 9 juin en France, mais le nombre de femmes soutenant le parti anti-immigration – en hausse de 10 % depuis 2019 – constitue un revirement. Les femmes ont-elles trouvé une voix au RN ou sont-elles, comme le suggèrent certaines féministes, en train de se laisser berner ?
Presque autant de femmes que d’hommes ont voté pour le candidat RN Jordan Bardella dans les sondages européens – 30 pour cent contre 32 pour cent, selon une récente enquête Ipsos.
« C'est sans précédent », estime Erwan Lecœur, sociologue spécialiste de l'extrême droite, ajoutant que cela marque la fin de « l'écart hommes-femmes de la droite radicale ».
Pendant des décennies, les femmes ont été moins enclines à voter pour l’extrême droite, une explication d’ordre socio-économique. Plus susceptibles de dépendre de l'aide sociale, les femmes avaient tendance à favoriser les partis de gauche qui défendaient traditionnellement un système de prestations sociales généreux ainsi que les droits des femmes.
En 2002, lorsque le leader xénophobe et antisémite du Front national de l'époque, Jean-Marie Le Pen, s'est qualifié pour le second tour de l'élection présidentielle, il n'a obtenu que 11 pour cent des voix des femmes, contre 26 pour cent des hommes.
« Au temps du Front national, il y avait toujours un écart de 5 à 6 pour cent entre les hommes et les femmes », a déclaré Lecoeur à Aurore Lartigue de 42mag.fr. « Depuis 2017, cela a changé. »
Féminisation du parti
Le changement a commencé lentement mais sûrement lorsque Marine Le Pen a repris le parti en 2011 et a commencé à remodeler son image. Elle a abandonné certains vieux pour des plus jeunes, a dénoncé l'antisémitisme et avait à ses côtés un député ouvertement gay.
Elle s’est également présentée comme une femme émancipée moderne et une mère divorcée qui travaille et qui aime les animaux. En 2018, elle a scellé la rupture avec l’héritage toxique de son père en renommant le parti Rassemblement national.
Lecoeur affirme que ce changement d’image du parti ainsi que l’arrivée de Jordan Bardella, 28 ans, photogénique et connaisseur des médias sociaux, comme son successeur, ont contribué à attirer davantage d’électrices.
Mais la principale raison réside dans le programme de Le Pen.
Candidate à la présidentielle de 2022, Le Pen a publié une « Lettre aux Françaises » dans Le Figaro quotidien dans lequel elle affirmait sa « sensibilité à la cause féministe ».
Le programme du parti promet de doubler le soutien aux mères célibataires élevant des enfants, tout en renforçant les contrôles pour prévenir la fraude et les mesures pour faire de la violence domestique une priorité.
«Sa politique a fortement évolué vers la prise en compte des problèmes des femmes et notamment de ceux des femmes célibataires et de leurs préoccupations en matière de sécurité et de féminisme», explique Lecoeur.
Même si le féminisme était « un peu démodé », il a fait son effet. Ses recherches menées en 2023-2024 ont montré l'attrait massif de Le Pen auprès des femmes de 30 à 40 ans qui avaient tendance à s'abstenir.
« Ils l'adoraient ; elle incarnait une femme forte qui ne se laisserait pas bousculer par les hommes.
Petite amie de la classe supérieure française : porte des costumes Chanel sur mesure, dîne dans des restaurants étoilés Michelin, vote secrètement pour Marine Le Pen pic.twitter.com/ak2WBHREHF
– mademoiselle blanche (@cinecitta2030) 9 juin 2024
Les droits des femmes comme stratagème politique
« Nous avons toujours protégé les droits des femmes », a déclaré à 42mag.fr la députée sortante RN Hélène Laporte. « En tant que femme, je n'aurais pas pu rejoindre un parti qui ne les respectait pas. »
Elle souligne le fait que le RN a voté en faveur de l'inscription du droit à l'avortement dans la constitution en mars de cette année. Sur ses 88 députés, 46 ont voté pour, 11 contre, 20 se sont abstenus et 11 étaient absents.
Mais certains groupes féministes remettent en question la crédibilité du RN en matière de droits des femmes.
Dans une lettre ouverte publiée dans Libération quotidiennement le mois dernier, un collectif féministe a décrit le RN comme « l'ennemi des femmes », l'accusant d'utiliser les droits des femmes pour faire avancer son propre programme politique.
Il souligne qu'en avril dernier les députés RN se sont abstenus sur l'introduction du droit à l'avortement dans la Charte européenne des droits fondamentaux, tandis qu'en novembre 2020 et 2021 ils se sont également opposés à une résolution condamnant la Pologne pour son interdiction quasi totale de l'avortement.
L'année dernière, quelque 35 députés RN ont voté contre un projet de loi visant à accroître l'accès des femmes aux postes à responsabilité dans la fonction publique, et en 2018, lorsque le Parlement français a adopté une loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, la plupart des députés RN, dont Le Pen, étaient absents.
Les droits des femmes, une question de sécurité
La préoccupation du Rassemblement National anti-immigration pour les questions féminines est liée à son opposition à l'Islam. Ce n’est pas un hasard si la question des violences faites aux femmes est apparue dans la section sécurité du manifeste 2022 du parti.
« Personne ne peut nous dire que le RN est contre les droits des femmes. La raison pour laquelle nous combattons l'islamisme, par exemple, c'est pour protéger la liberté des femmes », a déclaré à 42mag.fr le député RN Laporte.
Dans la « Lettre aux Françaises » de 2022, Le Pen a déclaré qu'en plus de sanctions plus sévères pour les délinquants sexuels, elle inscrirait les harceleurs de rue au registre des délinquants sexuels et ferait pression pour expulser les étrangers qui se livrent à de telles pratiques.
« Il y a une sorte de 'racisation' des violences sexistes et sexuelles au sein du RN », estime Domitille de Goys de #NousToutes. «Ils manipulent les chiffres et expliquent qu'ils vont protéger les femmes des violences sexistes et sexuelles en ciblant les migrants, qui en seraient responsables.
« Et pourtant, des études montrent que 91 pour cent des victimes connaissaient leur agresseur. »
Que ce discours soit fondé ou non, il a touché une corde sensible chez certaines électrices.
« La raison fondamentale pour laquelle le RN attire plus de femmes est que celles-ci voient le RN comme un parti qui les protégera contre les islamistes et l'islam », explique Lecoeur.
« Ils associent le RN au retour de l'ordre moral et à l'opposition à « tous ceux qui remettent en question la laïcité ».
« Pointer une arme contre soi »
Les enquêtes montrent que l'immigration est la principale préoccupation des électeurs du RN, mais les inquiétudes concernant une baisse du pouvoir d'achat ne sont pas loin derrière.
« Comme beaucoup de personnes dans la société, les femmes ont le sentiment de ne plus être écoutées et ont l'impression qu'elles trouveront au RN des gens qui pourront changer la France », a déclaré de Goys à 42mag.fr.
Mais si le RN se plaît à défendre les travailleurs pauvres, « aucune mesure précise n'est encore envisagée en dehors de la réévaluation des salaires des personnels de santé », écrit la philosophe Camille Froidevaux-Metterie.
Les femmes continuent de souffrir d’un écart salarial entre les sexes et sont plus susceptibles de souffrir de la pauvreté. Pourtant, tous les députés européens d’extrême droite se sont abstenus de voter la résolution européenne de 2022 sur un salaire minimum adéquat en Europe.
Compte tenu du bilan mitigé du RN en matière de droits des femmes, voter pour le parti aux élections législatives du 30 juin et du 7 juillet reviendrait à « pointer une arme contre soi », a conclu Froidevaux-Metterie.
Pour Nonna Mayer, spécialiste de l'extrême droite, les dés ne sont pas jetés.
Le RN a certes élargi son électorat mais « plus il est socialement diversifié, plus il est difficile de cacher les contradictions de son programme économique, d'attirer à la fois les ouvriers et les employés, les indépendants et les salariés », écrit-elle. dans Le Monde.
« Même l’électorat féminin ouvrier conquis par Le Pen pourrait chuter dans le contexte post #metoo, où les jeunes femmes se positionnent plus à gauche que les hommes du même âge. »