Dans la sélection Cannes Première lors du Festival de Cannes 2024, figure le dernier film signé par le réalisateur d’origine franco-cambodgienne.
Le réalisateur franco-cambodgien Rithy Panh s’efforce depuis trois décennies d’immortaliser à travers ses documentaires les tragédies de son passé et celui de son pays natal, le Cambodge. Il revient sans cesse sur le régime sanguinaire des Khmers rouges, dirigé par Pol Pot de 1975 à 1979, une période au cours de laquelle il a perdu tous les membres de sa famille et deux millions de ses concitoyens.
Cette fois, il a décidé de raconter l’histoire par le biais de la fiction. Dans son dernier film, Rithy Panh esquisse un portrait indirect de ce tyran et expose ce régime génocidaire du point de vue de trois occidentaux invités à témoigner de la révolution et désireux de rencontrer son dirigeant. Le film, présenté lors du dernier Festival de Cannes dans la catégorie Cannes Première, est sorti le 5 juin 2024.
Les protagonistes du film sont Paul Thomas (Cyril Gueï), un photographe, Lise Delbo (Irène Jacob), une journaliste expérimentée dont le nom fait écho à la résistante Charlotte Delbo, et Alain Carillou (Grégoire Colin), un professeur et militant d’extrême gauche qui a été camarade de faculté de Pol Pot. Ils sont invités à se rendre au Kampuchéa démocratique par le régime.
Phnom Penh, une ville désertée
Dans des conditions de surveillance strictes, on leur concocte une visite mettant en avant les succès supposés du régime et de son « Frère numéro 1 », omniprésent à travers les haut-parleurs crachotant constamment ses discours et à travers les représentations artistiques des artisans, sculpteurs et peintres scrupuleusement surveillés.
Les trois occidentaux aspirent à une entrevue avec le Frère Numéro 1. Pour la journaliste, cela représente un scoop potentiel; quant à Alain, fervent supporter de la révolution, cela représente la réalisation d’un rêve.
Pendant qu’ils attendent cette entrevue, ils sont en proie aux contraintes imposées par leurs gardiens. Graduellement, ils commencent à entrevoir la réalité dévastatrice qui se cache derrière cette révolution utopique : un pays en ruine, une population affamée, un massacre armé de civils et un culte de la personnalité poussé à l’extrême. Ils sont témoins de la ville de Phnom Penh, transformée en une ville fantôme, des cadavres dans les marécages et des visages ravagés par la famine….
Devant l’obstacle qui s’oppose à son travail de photographe, Paul tente d’emprunter des chemins non officiels. Lise essaie de poser des questions hors programme. Seul Alain, fidèle à son vieil ami Pol Pot et à l’idéologie marxiste, persiste à croire en la révolution.
« Le génocide, c’est aussi le silence »
Rithy Panh a jusqu’ici réussi à faire parler dans ses documentaires ceux qui ont été témoins du passé, comme dans S21, la machine de mort khmère rouge, en 2003, ou les bourreaux, comme dans Duch, le maître des forges de l’enfer en 2011.
Dans ce nouveau film, largement inspiré du livre d’Elizabeth Becker, Les Larmes du Cambodge : l’histoire d’un autogénocide, le réalisateur innove avec une technique de mise en scène qu’il avait déjà testée dans L’Image manquante. Ce film combine des scènes classiques, des archives et des scènes où sont disposées des figurines sculptées et peintes, jouant à l’échelle réduite l’expérience des trois personnages.
Avec cette mise en scène inventive et poignant, le réalisateur donne vie à l’horreur qui se cache derrière le régime, que les autorités s’efforcent de dissimuler aux yeux des étrangers: la faim, la terreur, la mort. « Le film questionne ce qui est vu et ce qui ne l’est pas. Le génocide, c’est aussi le silence. On ne voit rien, on n’entend rien. Les grandes terreurs sont souvent accompagnées d’un silence assourdissant », note Rithy Panh dans la présentation de ce film, qui apporte un nouvel éclairage à son travail de mémoire constant.
Ce film examine aussi le processus de mise en œuvre radicale d’une idéologie, ainsi que les dérives qui en découlent, à travers le regard des trois intervenants, qui sont là pour observer et témoigner. Il illustre l’absurdité d’un système et critique la vision idéalisée et la nonchalance du monde occidental.
Le langage joue un rôle central dans ce nouveau film de Rithy Panh. Le réalisateur met en scène ces mots, ces concepts, ces éléments de langage qui sustentent la dictature, orchestrent la manipulation et justifient les massacres. « Les mots ont une âme, et les politiques savent très bien comment chauffer le peuple, qui ne comprend souvent pas la puissance des mots. Le peuple est souvent ému et certains en profitent pour le manipuler. Les gens pourraient penser que c’est un film sur l’horreur, mais ce n’est pas le cas. Mon film est sur la manipulation, l’idéologie, le langage et le rôle de chacun dans ce processus », déclare Rithy Panh dans une interview à 42mag.fr avant la projection officielle.
Dans son film, Rithy Panh s’est mis dans la peau de Pol Pot, ou plutôt dans l’ombre de ce dictateur omniprésent mais invisible, réduit à une voix. Avec ce dernier film, le réalisateur cambodgien ajoute une pièce à l’édifice de son travail de mémoire à l’aide d’une expression cinématographique audacieuse, suscitant chez le spectateur une vague froide mais bénéfique dans ces temps de conflits meurtriers et de radicalisation politique.
Fiche technique
Genre : Drame
Réalisateur : Rithy Panh
Acteurs : Irène Jacob, Grégoire Colin, Cyril Gueï
Pays d’origine : France/Cambodge
Durée : 1h52
Sortie cinéma : 5 juin 2024
Distributeur : Dulac Distribution
Résumé du film : En 1978, trois journalistes français sont conviés par les Khmers rouges à une entrevue exclusive avec Pol Pot, le chef du régime. Le pays semble à première vue idéal, mais derrière ses apparences trompeuses se cache un régime en pleine décadence, une menace de guerre avec le Vietnam et un génocide de grande ampleur mené en secret. Sous le regard des journalistes, l’illusion se dissipe, révélant l’horreur.