Plus de 4 000 individus ont été exclus des prochains Jeux Olympiques de Paris 2024 en raison de suspicions les concernant quant à des comportements potentiellement menaçants. Cette décision a suscité de nombreuses critiques de la part de la communauté juridique.
Alors que les JO de Paris approchent, le ministère de l’Intérieur a annoncé avoir mis en place 155 mesures administratives de contrôle et de surveillance (Micas) visant des personnes jugées dangereuses. En tout, 4 355 individus, incluant des athlètes, des entraîneurs et des agents de sécurité, ont été exclus des Jeux olympiques car considérés comme potentiellement menaçants. De nombreux avocats critiquent ces mesures qu’ils jugent arbitraires.
Le 29 juin dernier, Amine se trouvait chez lui dans son petit appartement de banlieue parisienne lorsqu’il a reçu la visite de quatre policiers armés. Ceux-ci lui ont notifié qu’il faisait l’objet d’une mesure administrative de contrôle et de surveillance. En conséquence, ce jeune étudiant de 21 ans ne peut plus quitter sa commune pour une période de trois mois, correspondant à la durée des Jeux olympiques, et doit se présenter tous les matins au commissariat : « C’était un véritable cauchemar pour moi ». Le ministère de l’Intérieur lui reproche d’avoir exprimé des propos faisant l’apologie du terrorisme et d’avoir visionné des vidéos de décapitations sur l’application « Rave », connue pour diffuser des vidéos en direct. Cependant, Amine affirme qu’il est victime d’une usurpation d’identité : « J’ai immédiatement déposé plainte au commissariat, mais je ne sais pas si c’est à cause de mon nom ou de mes origines maghrébines, personne ne semble me croire. »
« Les policiers se sont excusés »
L’imposteur aurait, selon Amine, utilisé deux de ses photos de profil trouvées sur les réseaux sociaux. Placé en garde à vue le 16 avril dernier par la sous-direction antiterroriste, Amine a été relâché après huit heures de détention sans qu’aucune charge ne soit retenue contre lui : « Les policiers ont rapidement réalisé leur erreur et se sont excusés ». La DGSI a examiné son téléphone et son ordinateur pendant deux mois avant de les lui rendre. « Pour moi, ce fut un véritable choc, et je pensais que tout cela était derrière moi jusqu’à ce que je reçoive la Micas », confie le jeune homme à 42mag.fr.
Les répercussions sont considérables. Depuis trois ans, Amine est stagiaire dans une banque, tout en poursuivant une licence dans une grande université parisienne. Il a été accepté dans une prestigieuse école de commerce en alternance, sous condition de trouver un stage d’apprentissage : « Quand je postule dans les grandes banques d’investissement, je ne peux pas me rendre aux entretiens. Cela compromet tout mon avenir ». Même ses projets d’été sont affectés. Amine rêvait de faire le tour de la Corse à moto avec des amis en août : « J’ai déjà avancé l’argent, économisé pendant un an, mais ce rêve s’effondre subitement ». Avec son avocat, il a déposé une demande d’annulation de sa Micas. Une audience est prévue pour le mercredi 24 juillet au tribunal administratif de Cergy-Pontoise, dans le Val-d’Oise.
Un coup de filet extrêmement large
Son avocat, maître Vincent Brenghart, critique ces mesures restrictives : « Il y a des personnes qui n’ont jamais été condamnées, certaines ont été entendues en garde à vue puis relâchées sans suite ou avec un non-lieu. Pourtant, le ministère de l’Intérieur considère ces faits comme avérés. C’est très préoccupant parce que ces mesures ne relèvent pas de la justice. De plus, il est très difficile d’obtenir satisfaction, car il existe une présomption de bonne foi en faveur du ministère ».
« On peut comprendre la politique de maintien de l’ordre public », poursuit l’avocate Lucie Simon, qui représente de nombreux clients dans des situations similaires. « Mais cette politique a des répercussions disproportionnées sur les libertés individuelles, avec un coup de filet extrêmement large. » « Depuis l’état d’urgence », analyse Lucie Simon, « le cadre législatif est très vaste. Il y a aussi les visites domiciliaires, qui sont des perquisitions administratives, ou les refus d’accréditations pour les Jeux olympiques, après des enquêtes du service national des enquêtes administratives de sécurité (SNEAS), qui ne sont même pas rendues publiques. »
Refus d’accréditation
Léon décrit une situation « kafkaïenne » : »En 2016, j’étais photographe et j’ai été placé en garde à vue lors d’une manifestation contre la loi Travail. Finalement, j’ai été relaxé, en première instance et en appel. Mon casier judiciaire est vierge, mais je dois être inscrit sur un fichier, ce qui a justifié ce refus d’accréditation. »
Ces mesures suscitent l’inquiétude, ajoute Lucie Simon : « On imagine à quel point les services doivent agir en urgence, avec un objectif de risque zéro impossible à atteindre. Donc dès qu’une personne est présente sur un fichier, même si cela ne signifie rien, cela peut suffire à en faire une victime d’une mesure liberticide. »
Léon compte demander une compensation pour les semaines de travail perdues. Son employeur a dû le remplacer. En parallèle, il tente de faire retirer son nom de ces fichiers mystérieux : « Ce qui me fait peur, c’est pour l’avenir. Comment vais-je pouvoir travailler sur d’autres événements de ce type-là ? Et surtout, j’ai peur des dérives si un gouvernement encore plus autoritaire prend le pouvoir », conclut-il.