Les responsables des studios, les créateurs, les salariés et les associations redoutent que des changements politiques à venir puissent mettre en péril certains droits acquis, notamment si le Rassemblement national parvient à obtenir une majorité lors des élections législatives.
Les premières réactions sont venues des acteurs du jeu vidéo. Juste après la dissolution de l’Assemblée nationale et la montée en puissance du Rassemblement national lors des élections européennes, plusieurs associations se sont mobilisées contre l’extrême droite. Ce mouvement, nommé « Ni dans nos vies, ni dans nos jeux« , a été initié par l’association Afrogameuses, dédiée à promouvoir la diversité et l’inclusion dans l’univers des jeux vidéo.
Face à la probabilité d’une prise de pouvoir par l’extrême droite, l’industrie du jeu vidéo en France, qui est la première industrie culturelle et créative du pays, commence à se poser de sérieuses questions. En 2023, ce secteur en constante expansion a généré un chiffre d’affaires de 6,1 milliards d’euros, selon le rapport du Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs (SELL) publié en mars 2024. Cependant, des politiques futures défavorables au secteur pourraient compromettre cette dynamique positive.
Des subventions publiques qui soutiennent l’industrie
« Le secteur du jeu vidéo en France a une particularité : il bénéficie de nombreuses aides, notamment via le CNC, les subventions régionales et le crédit d’impôt pour le jeu vidéo« , explique Julien Moya, co-fondateur du studio Rundisc. Pour autant, ce marché n’est pas sous perfusion. « C’est une industrie où l’on prend beaucoup de risques, car il faut souvent attendre des années avant d’éventuellement générer des profits. Le crédit d’impôt permet aux studios de maintenir leur trésorerie entre deux projets« , précise Julien Moya.
« En dirigeant un petit studio, je suis fermement convaincu que, sans ces dispositifs d’aide, le paysage du jeu vidéo serait très différent aujourd’hui », estime le directeur créatif. Avec son associé Thomas Panuel, ils ont développé Chants of Sennaar, un jeu sorti en septembre 2023 et couronné meilleur jeu vidéo français de l’année lors des Pégases.
Dans ce climat politique tendu, Julien Moya a également partagé ses pensées sur le réseau social X. « Si vous avez apprécié Chants of Sennaar et que vous prévoyez de voter RN dimanche, vous n’avez RIEN compris au jeu« , a-t-il tweeté le 28 juin dernier. « Chants of Sennaar est une fable sur l’ouverture aux autres. Écouter et parler aux autres permet de découvrir que nous avons plus de points communs que ce que l’on pense« , ajoute Julien Moya.
Concernant le programme du Rassemblement national en matière de culture, celui-ci est peu détaillé. Comme la majorité des programmes politiques, il ne fait aucune mention spécifique à une stratégie pour le secteur du jeu vidéo.
La gestion culturelle à l’échelle municipale
« Il y a beaucoup d’incertitudes sur ce sujet. En réalité, on ne sait pas vraiment. On s’en remet aux discours et aux précédentes expériences politiques du Rassemblement national dans les municipalités« , explique Vincent Guillon, politologue et professeur à Sciences Po, auteur d’un article intitulé « La culture face à l’extrême droite : des discours aux actions » pour l’Observatoire des politiques culturelles.
Dans cet article, il examine notamment les villes dirigées par des membres du parti fondé par Jean-Marie Le Pen. « Dans les années 1990, le RN intervenait dans le domaine culturel municipal en provoquant des scandales. C’était une manière de se démarquer, mais cette stratégie s’est révélée contre-productive pour le parti. On assistait à beaucoup d’entrisme municipal et d’ingérence dans la gestion des bibliothèques, par exemple« .
Lors des victoires électorales municipales du RN en 2014, la stratégie a évolué. « On observe plutôt une dépriorisation de la politique culturelle dans les villes gouvernées par le RN, avec des adjoints à la culture moins interventionnistes. Cependant, plus discrètement, cela n’empêche pas la suspension de subventions à des associations culturelles moins en vue, mais déplaisant aux municipalités« , note le chercheur.
« Le jeu vidéo pourrait être instrumentalisé »
En tant qu’objet culturel, le jeu vidéo véhicule des valeurs et des messages. Il peut être tentant de l’utiliser pour faire passer des récits. « Il y a peu d’éléments concrets pour l’instant. Cependant, il est facile d’imaginer que le cinéma ou le jeu vidéo français pourraient être utilisés pour promouvoir des œuvres conformes aux récits nationaux que le parti souhaite véhiculer« , suggère le chercheur.
Pour Florent Maurin, fondateur du studio parisien The Pixel Hunt, ces attaques directes pourraient toucher en premier lieu les minorités représentées dans le secteur. « Les discours de l’extrême droite sont souvent exclusifs et visent toutes les personnes en dehors de la norme prônée par le parti. Cela pourrait mettre en danger les projets qui défendent d’autres idées, et les personnes qui y travaillent, par exemple les personnes queer« , craint-il.
En 2017, son studio a publié Enterre-moi, mon Amour, un jeu narratif qui raconte l’histoire de Nour, une infirmière syrienne de 27 ans en quête d’asile en Allemagne. Cette œuvre avait pour objectif de donner une autre perspective sur la crise des réfugiés. Qui peut dire si ce genre d’histoire continuerait de recevoir l’aval des décideurs politiques sous un gouvernement d’extrême droite ?