Pour la première fois, une cour de justice examine les crimes contre l’humanité perpétrés au plus haut échelon par le cercle proche de Bachar al-Assad en Syrie. Ce procès sans précédent, qui débute ce mardi en France, se focalise sur le dossier Dabbagh, impliquant un père et son fils franco-syriens, qui ont été arrêtés, soumis à la torture, puis ont disparu.
Un procès marquant débute aujourd’hui en France, s’étendant du mardi 21 au vendredi 24 mai. La cour d’assises de Paris va juger par contumace trois hauts fonctionnaires du gouvernement syrien dans le cadre de l’affaire Dabbagh, nommée d’après un père et son fils, Franco-Syriens arrêtés, torturés et présumés morts. Celui qui a lutté pendant dix ans pour mener à ce procès est Obeida Dabbagh, 70 ans, frère et oncle de Mazen et Patrick. 42mag.fr l’a rencontré pour recueillir son témoignage.
La nuit était tombée depuis bien longtemps sur Damas, ce 3 novembre 2013, quand trois ou quatre militaires frappent à la porte de la famille Dabbagh, au quatrième étage d’un immeuble. « Ils se présentaient comme membres des renseignements des forces aériennes. Ils ont demandé à voir le fils pour un interrogatoire, fouillé la maison, pris les téléphones, les ordinateurs et de l’argent« , explique Obeida Dabbagh, l’oncle et le frère des disparus. Le soir suivant, ils sont revenus vers 23h, reprochant à mon frère de ne pas avoir correctement éduqué son fils« . Les deux hommes ont été emmenés dans les locaux de la branche Mezzeh à l’ancien aéroport de Damas, siège des services de renseignements. « Dans ce centre, on détenait des personnes pour les interroger et les torturer« , poursuit Obeida Dabbagh, qui s’est engagé dans une lutte périlleuse pour retrouver ses proches.
Mazen, conseiller d’éducation au lycée Charles-de-Gaulle de Damas, avait 54 ans. Son fils Patrick, âgé de 19 ans, étudiait la psychologie. Selon leurs proches, le jeune homme ne cachait pas son opposition au régime syrien et son père exprimait librement et de manière provocatrice ses opinions, mais ils n’ont jamais participé aux mouvements de contestation de mars 2011.
Ce procès, déjà « une victoire »
Cinq ans plus tard, le 6 septembre 2018, Obeida Dabbagh apprendra la nouvelle de leur décès par les certificats de décès qu’ils étaient morts et probablement torturés : Patrick le 21 janvier 2014, et Mazen le 25 novembre 2017. Depuis, il se bat pour que leurs tortionnaires soient jugés. « Bien que ce soit une situation très triste, j’ai une satisfaction personnelle que le procès ait pu avoir lieu, c’est une victoire« .
Une victoire également pour la magistrate Aurélia Devos, qui a mené l’enquête sur le dossier Dabbagh et qui a dirigé pendant dix ans le pôle de crimes contre l’humanité au parquet de Paris. « Nous sommes allés au bout de cette enquête, la justice française a pu organiser ce procès car elle a la capacité de le mener in absentia. Des mandats d’arrêt ont été émis, mais cela permet de tenir le procès, de raconter les faits, et de présenter les éléments du dossier devant une juridiction qui rend des décisions« , précise-t-elle.
Le procès durera quatre jours. Trois hauts responsables du régime syrien seront jugés en leur absence. Mais « peu importe« , explique Clémence Bectarte, l’avocate de la famille Dabbagh et de la FIDH, la Fédération internationale des droits de l’Homme : « C’est le plus haut niveau de responsables du régime syrien jamais jugés« .
Emmenés dans l’une des pires prisons de Syrie
Les trois accusés, le major général Ali Mamlouk, chef des renseignements généraux et de la sécurité de l’Etat, Jamil Hassan, directeur de la direction de l’armée de l’air, et Abdel Salam Mahmoud, directeur de la branche des enquêtes du service de renseignement de l’armée de l’air, sont les plus hauts responsables du régime syrien à être poursuivis en justice.
« L’objectif est de démontrer la responsabilité de ceux qui ont ordonné ces crimes. Montrer que tout découle d’une politique décidée au plus haut niveau de l’État syrien, d’où la qualification de crimes contre l’humanité ».
Clémence Bectarteà 42mag.fr
À la barre, trois Syriens survivants des prisons syriennes viendront témoigner à visage découvert. Parmi eux, Mazen Darwish, avocat syrien et défenseur des droits de l’homme, représentant du SCM, le Centre syrien pour les médias et la liberté d’expression, en exil à Paris. L’homme a passé trois ans et huit mois dans les prisons syriennes. Comme Mazen et Patrick Dabbagh, il a été incarcéré et torturé à Mezzeh : « Après des jours et des jours de tortures quotidiennes, ils ont cru que j’étais mort et ils m’ont mis dans le hangar« .
Mazen Darwish a été personnellement interrogé par l’un des trois accusés, Jamil Hassan, qui fait partie du cercle proche de Bachar Al Assad : « Avant de commencer à me torturer, il m’a dit : « Alors comme ça, tu te documentes pour nous amener à la Haye ?« Là, j’ai compris, c’était une manière de se venger, de détruire les gens et de tuer l’opposition. Il n’y a pas un seul instant de la journée qui n’était pas marqué par la souffrance et les tortures.«
Mazen Darwish doit témoigner ces jours-ci devant la cour. Il se réjouit que le procès soit traduit en arabe pour le public : « C’est très important, la justice, ce n’est pas que le verdict. La justice, c’est tout le processus. Traduire tout le procès, c’est essentiel pour que la nouvelle génération en Syrie puisse savoir ce qui s’est vraiment passé« . Au total, ces dernières années, onze mandats d’arrêt ont été délivrés par la justice française contre des dignitaires syriens.