Alain Delon, qui a bénéficié d’une notoriété plus marquée en Italie qu’en France au tournant des années 1950 et 1960, est rapidement devenu une personnalité emblématique du cinéma policier français. Sa présence et son charisme ont eu un impact significatif sur le genre, lui permettant de laisser une empreinte durable au niveau international.
Les hommages rendus en France et à l’international à Alain Delon, décédé le 18 août à l’âge de 88 ans, témoignent de sa vaste réputation. Moins connue est l’empreinte qu’il a laissée sur le domaine cinématographique, notamment à l’étranger, en tant qu’acteur, réalisateur et producteur.
Si Rocco et ses frères (1960), un film néo-réaliste réalisé par Luchino Visconti, constitue un tournant majeur de sa carrière, c’est dans le secteur du film policier qu’il va se distinguer la même année en France avec Plein Soleil de René Clément, où il se démarque véritablement.
Ce film, lumineux comme l’indique son nom, se déroule en mer à bord d’un voilier piloté par Maurice Ronet, accompagné de Marie Laforêt. Dans ce rôle particulièrement sombre, Alain Delon se construit un personnage glaçant qui marquera à jamais sa filmographie, influençant des réalisateurs tels que Quentin Tarantino ou John Woo. D’autres réalisateurs ont également tenté de le convaincre, puisqu’il a refusé le premier rôle proposé par Johnnie To dans Vengeance (2009), qui a ensuite été attribué à Johnny Hallyday. De plus, il est devenu une figure emblématique de la mode dans l’archipel : un symbole de l’élégance à la française.
« Reservoir Dogs » : la sophistication du mal
Reservoir Dogs (1992) est probablement le premier film à évoquer l’image d’Alain Delon en dehors de la France, à travers les tueurs interprétés par Harvey Keitel, Tim Roth, Steve Buscemi, Tarantino lui-même et leurs partenaires, dès les premières minutes. Ils arborent des costumes noirs, des chemises blanches et des cravates sombres, créant une élégance typique d’hommes d’affaires qui les intègre dans le décor tout en révélant leur froideur de tueurs.
La référence à Alain Delon se traduit par cette nouvelle silhouette du malfaiteur dans les films policiers, désormais à la fois chic et mystérieux, rappelant le Samouraï imaginé par Melville.
Cette image élancée réapparaîtra également dans Pulp Fiction, dès la scène d’ouverture, où John Travolta et Samuel L. Jackson succèdent aux personnages de Reservoir Dogs, incarnant des tueurs glacials et implacables. De surcroît, le réalisateur met en lumière une version féminine de ce prototype masculin à travers l’élégance de Jackie Brown, interprétée par Pam Grier dans le film du même nom.
Cependant, bien que la silhouette et les costumes des criminels dans Reservoir Dogs et Pulp Fiction rappellent le style de Delon, ils ne possèdent pas cette froideur qui caractérise le célèbre acteur français. Leur allure est plus décontractée, avec une pincée d’humour, leurs sarcasmes les éloignant de l’image austère de Delon.
« Volte/Face » : vous n’êtes plus le même
« Si un Japonais avait eu la chance d’être blanc, il aurait ressemblé à Alain Delon« , affirmait l’acteur avec une pointe de vanité lors d’un journal télévisé sur France 2 en avril 1996. Bien plus qu’en France, Alain Delon est devenu une véritable « marque » au Japon, et même en Asie, où plusieurs produits tels que parfums, cigarettes, chaussures et vêtements portent son empreinte. La froideur de ses rôles n’évoque-t-elle pas, d’ailleurs, les acteurs du théâtre Kabuki japonais ?
Cela ne doit pas surprendre si son personnage de tueur à gages dans Le Samouraï (1967) de Jean-Pierre Melville utilise une terminologie nippone qui signifie littéralement « celui qui sert (son seigneur) » jusqu’à son dernier souffle. En effet, c’est la destinée qui attend Jeff Costello (le Samouraï) dans la séquence finale du film.
Alors que le caractère sombre des rôles de Delon s’internationalise, son élégance idéalisée, définie par Melville dans le portrait de son assassin, perdure : grand et droit, vêtu d’un trench-coat clair, surmonté d’un chapeau gris.
À l’instar de Quentin Tarantino, John Woo n’a jamais caché l’impact de Melville sur son œuvre. En effet, on pense notamment à Volte/Face, où l’agent du FBI Sean Archer (Nicolas Cage) voit son visage greffé à celui du redoutable terroriste Castor Troy (John Travolta), tout en adoptant une silhouette classique semblable à celle de Delon.
De George Clooney à Park Chan-wook
Alain Delon a non seulement marqué le cinéma, mais également influencé de nombreux réalisateurs à travers le monde. Il incarne clairement la distinction entre le simple comédien et l’acteur au vrai sens du terme. Le premier se contente de passer d’un rôle à un autre, alors que le second donne vie à des personnages qui semblent taillés sur mesure pour lui, à l’instar de Jean Gabin ou Louis de Funès. Alain Delon, lui, est le porteur d’un style. Bien qu’il puisse jouer aussi bien des rôles de policier que de malfrat, il conserve toujours sa prestance et son élégance caractéristiques.
En France, des acteurs comme Daniel Auteuil ou Pierre Niney citent son influence, tandis qu’à l’étranger, George Clooney et Tom Cruise reconnaissent s’être inspirés de lui dans leurs performances respectives, comme dans Hors d’atteinte (Steven Soderbergh, 1998) pour Clooney et Collatéral (Michael Mann, 2004) pour Cruise. Le film Le Samouraï a eu une portée considérable sur le cinéma à l’échelle mondiale : Martin Scorsese (Les Affranchis, 1990), Michael Mann (Heat, 1995) ou Jim Jarmusch (Down by Law, 1986) en sont autant de preuves. Bien que l’on associe souvent la genèse du polar urbain à French Connection (1971) de William Friedkin, ce genre s’affirme déjà dans Le Samouraï, où Delon hante inlassablement les rues de Paris.
En Italie, le poliziottesco (néo-polar) trouve directement ses racines dans les films de Melville. La Trilogie du milieu (Milan calibre 9, L’Empire du crime, Le Boss) réalisée par Fernando Di Leo entre 1972 et 1973 lui rend hommage. Le réalisateur américain Antoine Fuqua, qui a créé la franchise The Equalizer (2014-2023), exprime : « Mes plus grandes inspirations ont été les films étrangers des années 1970, vraiment (…). Et bien sûr, tous ces films d’Alain Delon, en particulier, comme Le Samouraï, qui se distinguent par leur rythme mesuré et l’évolution des personnages au fil du récit. Ce sont ces œuvres qui m’inspirent. » De même, Chad Stahelski, le réalisateur de la saga John Wick (2014-2025) avec Keanu Reeves, confesse s’être nourri de Cercle rouge (Jean-Pierre Melville, 1970) et de Le Samouraï.
La liste des réalisateurs influencés par le modèle que Melville a établi est sans fin : Yórgos Lánthimos, Jerry Schatzberg, Paul Schrader, Akira Kurosawa, Hayao Miyazaki, Dario Argento, James Gray, Park Chan-wook… Qui d’autre peut se vanter d’un tel héritage ?